L’Hippolytoise Nancy R. Lange a organisé un échange qui a permis à trois poétesses québécoises de faire un séjour en Islande, et à trois poétesses islandaises de faire un séjour au Québec, ici, à Saint-Hippolyte.
Plus spécifiquement, il s’agit du projet d’échange de résidences littéraires, Femmes du nord (Alliance Québec-Islande-Suède). Nancy a conçu ce projet pour le regroupement d’auteur.e.s et d’artistes RAPPEL: Parole-Création, en collaboration avec l’Union des Écrivain.e.s d’Islande.*
Nancy R. Lange
Depuis de nombreuses années, Nancy R. Lange est très active dans le domaine de la littérature. Elle a fondé, il y a plus de deux ans, Femmes de parole, une revue de poésie internationale qui valorise la parole féminine. Ce projet d’échange s’inscrivait donc dans un esprit de continuité. Elle a d’ailleurs demandé à chacune des poétesses islandaises de parler du travail d’une autre autrice islandaise avec laquelle elle a des affinités littéraires. L’objectif était d’élargir le cercle de parole des femmes. Ainsi au lieu de découvrir trois femmes poètes de là-bas, cette démarche permettait d’en découvrir six.
L’origine du projet
Nancy pensait depuis longtemps aborder la question de la parité homme-femme en littérature. En 2019, elle prenait connaissance d’une étude faite par l’Université de Sherbrooke qui démontrait clairement que cette parité n’existe pas. C’est ce qui l’a convaincue de la pertinence de faire un projet évoquant ce sujet. D’autre part, elle avait envie de travailler sur la nordicité. Elle voulait se distancer de l’image de neiges éternelles de l’extrême nord parce que, en réalité, tous les pays nordiques ont quatre saisons. « Pour moi, explique-t-elle, la nordicité constitue la part la plus importante de mon identité. » Elle s’est donc posé la question : qu’est-ce que la nordicité dans une optique féminine?
Lors d’une mission exploratoire pour trouver des partenaires, elle a, avec l’appui de l’Union des Écrivains d’Islande, identifié trois poétesses islandaises intéressées à participer à cet échange. Elles viendraient au Québec, chez elle à Saint-Hippolyte, pour une période de trois semaines.
Déroulement du projet
Le séjour des trois poétesses islandaises dans notre municipalité a eu lieu en septembre-octobre. Chacune a présenté sa conception de la parité homme-femme en littérature en Islande. Elles étaient d’accord. Il n’y a pas de parité là-bas non plus. Elles ont témoigné, tour à tour, de l’impact de cette situation sur leurs carrières d’autrices. Elles ont aussi traité d’un thème relié à leur réalité nordique. Car un des objectifs de Nancy, dans cet échange, était d’étendre le concept de nordicité. Ne pas le limiter aux régions polaires afin que tous les gens du nord puissent commencer à réfléchir à ce qu’ils ont en commun.
Rencontre
C’est au cours d’une rencontre à Saint-Hippolyte que Móheiður Hlíf Geirlaugsdóttir, Ásdís Ingólfsdóttir et Thorunn Jarla m’ont présenté les thèmes qu’elles avaient choisi de développer.
Móheiður Hlíf Geirlaugsdóttir
Elle a opté pour la luminosité. En Islande, les saisons ponctuent le temps. L’hiver, en décembre, il n’y a que trois heures de clarté et l’été, le soleil est omniprésent. Le 21 juin, c’est le jour toute la nuit. La lune, explique-t-elle, est très importante pour les Islandais. Elle permet à l’horloge biologique de savoir quand il fait jour et quand il fait nuit. Malgré cela, le manque de luminosité peut créer un décalage dans tout dans le corps et affecter la santé mentale. Heureusement, il y a la neige qui crée de la luminosité. L’eau est, elle aussi, porteuse de lumière. Les bains chauds, nombreux en Islande, la mer qui entoure l’île adoucissent l’obscurité qui s’installe en hiver.
Ásdís Ingólfsdóttir
Son thème était la vulnérabilité. La traduction littérale de ce mot islandais est nu sans bouclier. Le climat plus froid et le changement des saisons au nord créent des conditions de vie plus dangereuses qu’ailleurs. Ce qui rend les Islandais vulnérables, indique-t-elle. Conscients de leur environnement, ils doivent se protéger pour survivre, garder leur bouclier levé ce qui, en fait, les rend plus forts. Inversement, la vulnérabilité assumée peut aussi devenir un signe de courage, celui d’oser prendre des risques. Quand les gens du nord baissent leur bouclier et montrent leurs émotions, malgré leurs peurs, ils restent connectés aux autres. La vulnérabilité devient une force.
Thorunn Jarla
Elle a entamé une réflexion sur la nordicité islandaise. Les aléas de l’histoire ont fait des Islandais un peuple occupé à survivre. Mais la nordicité les lie aux pays scandinaves bien qu’ils aient un parcours historique très différent de leurs voisins. Pour elle, être nordique, c’est profiter du cadeau que lui fait la lune. Car sans la lune qui circule autour de la terre, il n’y aurait pas de changements de saisons.
Un pas…
Móheiður : « Il y a plus de personnes que je croyais dans les régions nord. Ça ouvre les yeux sur de nouvelles choses. Ça m’a beaucoup fait réfléchir sur ce qu’on a en commun, parce que ce n’est pas évident, de prime abord. »
Ásdís : « Ça a élargi ma vision de voir un territoire si différent, mais avec lequel on a quand même tant de similitudes. »
Thorunn : « Il nous faut développer une fierté par rapport à notre identité nordique. »
Avec cet échange, Nancy ne prétendait pas apporter des réponses. Elle souhaitait, avec d’autres femmes, entamer une réflexion sur la nordicité. Y a-t-il des valeurs communes qui lient tous les territoires nordiques? Ont-ils un rôle commun à jouer? De quoi sont-ils les dépositaires? La démarche se poursuit. L’an prochain, le deuxième volet de l’échange se fera avec des autrices suédoises.
Textes
Les poétesses islandaises ont fait, en primeur, quatre lectures publiques de leurs textes avant leur départ du Québec. On pourra les lire dans un numéro de la revue Femmes de parole qui paraîtra en 2024.
*Avec le soutien financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie et du Conseil nordique des ministres.