Par ce radieux dimanche du 12 mars, Prévost accueillait trois musiciens chevronnés réunis pour l’occasion comme Trio Prokofiev. Le programme comprenait deux autres compositeurs russes, contemporains de Prokofiev, qui ont croisé son parcours.
Regroupant Ariane Brisson à la flûte traversière, Louis-Philippe Marsolais au cor et Philippe Chiu1 au piano, l’ensemble musical nous a fait vivre près d’une heure et demie, sans entracte, de musique inspirante et variée.
En prélude, Glazounov
Un peu après le début du concert, on nous a proposé une Rêverie d’Alexandre Glazounov (1865-1936). Glazounov encouragea, en 1904, le jeune Prokofiev alors âgé de 13 ans, à s’inscrire au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. La musique pour cor et piano nous convie au rêve, à la détente. Elle nous enveloppe de ses notes liées et lancinantes, molletonnées, le tout scandé par un piano discret.
Au tour de Prokofiev
Le temps était venu d’aborder Serguei Prokofiev (1891-19532) dont la vie mouvementée ne l’empêcha pas d’affirmer son génie créatif d’avant-garde. Entre autres œuvres, on lui doit Pierre et le loup destiné à présenter les divers instruments de musique aux plus jeunes.
En poursuite du concert, la flûte a pris la relève du cor pour la Sonate numéro 1 (Opus 94, en ré majeur) de Prokofiev, décrite à profusion par le fil conducteur d’Ariane. C’est une œuvre, écrite pour flûte et piano, mais que maints violonistes, dont David Oistrakh, se sont appropriée volontiers, tant la pièce les attirait. La flûtiste a su avec brio tirer son épingle du jeu, enchaînant les quatre mouvements avec assurance et dextérité. Il faut signaler particulièrement le Scherzo à trois volets que la musicienne a parcourus en virtuose, alliant le souffle et le doigté en harmonie symbiotique. Précédé d’un Lento, le quatrième et dernier mouvement se veut plus festif et porteur d’espoir, espoir de retrouver la paix et la sérénité, en cette fin présagée de la Deuxième Guerre mondiale.
Le morceau, égayé de staccatos, de sautillements, d’enjouement laisse place un bref moment à un solo de clavier bien tempéré avant d’aborder résolument la finale enlevante en crescendos successifs et, après une brève césure plus modérée, de terminer par une dernière envolée menée avec maestria. Nous avons consensuellement flirté avec la Flûte enchantée, que Mozart n’aurait certes pas dédaignée.
Crochet par Glière
En poursuite de programme, le cor a repris du service avec trois œuvres du compositeur russo-soviétique Reinhold Glière (1874-1956). Il est né à Kiev d’une mère polonaise et d’un père allemand, d’ascendance belge3. Il a eu deux élèves, Miaskovski et Prokofiev. Il a aussi par ailleurs enseigné à Khatchatourian.
Un Intermezzo, bien étoffé et lié, un brin nostalgique, a dressé le décor pour la suite. Une Valse triste a pris le relais. La valse est plus souvent associée à la joie et l’exubérance. De cette appellation en forme d’oxymore a émergé une pièce combinant lenteur et mélancolie, avec des allusions jazzées en filigrane et en retenue. La troisième œuvre, un Nocturne, nous a entourés comme un cocon ouaté, enveloppant tout, tout comme la nuit. Les sons profonds et appuyés nous renvoyaient à la tranquillité souvent associée à la nuit rassérénante.
Et à Prokofiev de conclure…
Le trio s’est reformé pour la dernière partie du spectacle. Les protagonistes y sont allés d’arrangements de leur cru pour intégrer leurs instruments à quatre segments du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev. L’histoire du Barde de Stratford, bien connue de tous, est transposée en musique, exprimant les émotions ressenties par les personnages dans ce drame évolutif. On imagine facilement, dans le premier tableau, la jeune Juliette naïve, pleine de joie de vivre, s’apprêtant à aller à un bal masqué. Les notes, voletantes, évoquent l’ingénuité de l’adolescence, l’insouciance et l’amour envahissant.
La musique souligne ensuite la rivalité entre les deux clans, les Montaigu et les Capulet. La gamme sonore marque bien l’opposition entre les deux familles, avec des notes plus hachurées, dénotant la mésentente et l’inimitié entre les deux parentèles antagonistes. La musique illustre les arguments, les différends irréconciliables.
Succède alors la scène où les amants maudits se retrouvent. La musique se veut plus sensuelle, plus douce, plus lente, plus tendre. Les notes s’harmonisent comme une vague qui s’étire et se prolonge. S’y adjoint ensuite le cor, plus intense. L’œuvre aborde ensuite la dernière séquence avant la fin tragique, avant l’accomplissement inexorable d’un destin suicidaire. La musique côtoie le lugubre comme une oraison funèbre prémonitoire inévitable. Le cor et le piano soulignent la gravité. La flûte reste plus légère, comme pour surnager, dépasser le drame qui se profile irrémédiablement et se noue sans retour.
Tombée de rideau, les notes se sont tues… Et, en quelque sorte, la prokofièvre s’était emparée, pour un laps de temps suspendu, de la musique et du public. Tr.r.r.io, bravo!!
1 Philippe Chiu avait obtenu, la veille, un prix Juno pour son album solo de musique classique Fables.
2 Fait anecdotique, Prokofiev est décédé le même jour que Staline, mais sa mort ne fut annoncée que six jours plus tard, histoire de ne pas faire ombrage au maître du Kremlin…
3 Le fils, attaché à ce lignage, ce fil francophone, a modifié son nom, passant de Glier à Glière, comme il est connu aujourd’hui.