Retrouvailles et traditions entourant la Nouvelle Année sont prétextes au renouvellement de marques affectives familiales. Pourtant, aux dires de Guy Thibault, il en était autrement autrefois chez les Thibault du lac des Quatorze Îles où retenue et conformisme teintaient ces célébrations d’un halo de froideur.
Pas plus qu’une poignée de main
Guy Thibault est un des aînés chez les petits-enfants d’Émilia Massie et de Carolus Thibault. Ayant peu connu sa grand-mère décédée en 1952, ce sont des fêtes avec son grand-père Carolus dont il se souvient surtout. « Enfant, mon grand-père était un homme impressionnant. Silencieux et sobre dans ses gestes, ceux-ci avaient toujours une portée éducative comme cela devait être dans le modèle de la famille religieuse et traditionnelle d’autrefois. Je prends comme exemple sa poignée de main. Enfant comme adulte, dès notre entrée, il nous accueillait avec une poignée de main. Solennel, il nous regardait intensément dans les yeux et nous souhaitait toujours la même formule : “Succès dans ton travail ou dans tes études”, selon le cas. Puis, dans une forme de geste affectueux, sa chaude main gauche venait toucher la mienne. Pas d’embrassade pas de collage, juste cette poignée de main. »
Drôle d’alcool d’accueil
L’accueil à la maison une fois accompli, Carolus s’occupait alors des hommes faits (prononcez faite) 1 André Thibault, cadet des 15 enfants de Carolus, se rappelle ce rituel. « Aux hommes, il tendait un shot d’un alcool d’une couleur indéfinissable. Par politesse, les visiteurs l’acceptaient, mais se méfiaient du goût qui chaque année était singulier. Fort en alcool non contrôlé, plusieurs s’étouffaient en l’ingurgitant. Vous pouvez être sûr qu’ils n’en redemandaient pas. J’ignore si c’était le but recherché en cette époque de promotion de tempérance dans les familles canadiennes-françaises », dit en riant monsieur Thibault. Cet alcool était le fruit du mélange des bouteilles d’alcool entamées et données par les villégiateurs à la fin de l’été, au moment où ils fermaient leur chalet à la fête du Travail.
PanPan (costume rayé) et les personnages de l’émission Pépinot et Capucine télévisée à Radio-Canada de 1952 à 1992. Photo : Radio-Canada
Fête et cadeaux
Peu riche, mais au cœur généreux, la maison et la table de Carolus et de son épouse Émilia Massie, même après le décès de celle-ci en 1952, sont restés le lieu de célébrations familiales. Situation guère courante à l’époque, ce sont les fils Lionel et Marcel, tous deux célibataires qui, après le départ de leur mère, ont tenu maison. Discrets et généreux, pour faire plaisir aux enfants et selon leurs revenus (ils étaient taximen 2 pour les touristes), ils s’occupaient même d’acheter des cadeaux et de joliment les emballer. Guy Thibault, qui en a reçus, se rappelle sa ceinture de cowboy et son révolver en plastique à la PanPan ou à la Rintintin,3 émissions populaires à cette époque. Aux filles, ils offraient une très populaire poupée au corps de chiffon surmonté d’une tête en plastique garnie de cheveux artificiels qu’on pouvait coiffer.
La piasse en argent tant attendue
Guy Thibault se rappelle aussi tout le plaisir qu’il avait à recevoir et tenir solidement au creux de sa main, la grosse pièce en argent de 1 $ que son grand-père distribuait à chacun de ses petits-enfants. « Pour un enfant de 4 ou 5 ans, cette pièce était un trésor précieux. Grand-père, après nous l’avoir donnée, nous invitait à la glisser dans une poche de notre pantalon pour ne pas la perdre. Combien de fois durant la soirée, j’ai vérifié sa présence, la tenant fermement au fond de ma poche où elle faisait naître tant de projets de plaisirs à venir! »
Veillées plus animées chez les Lauzon
Vers la fin des années 1940, André Thibault commence à fréquenter Suzanne Lauzon. Les célébrations familiales des Fêtes se vivent tout autrement chez les Lauzon. Si, les soirs de fêtes chez les Thibault, on jase et on joue aux cartes, chez les Lauzon on bouge! Chants, danses et musique meublent toutes les soirées. La famille a hérité d’un vieux gramophone donné par un villégiateur et, au fil du temps, ils ont ramassé dans les vidanges, une bonne quantité de gros vinyles colorés de cette époque. À chaque célébration durant l’année, la musique règne dans la maison. Souvent, les membres de la famille à l’unisson s’élancent et accompagnent le chanteur dans son interprétation. Tous ont appris à l’oreille. Omer Lauzon, le père, Fernand un des fils, et le cadet André s’exercent presque tous les soirs au violon, à l’accordéon et à la guitare. La plupart de ces instruments leur ont été donnés par les villégiateurs.
Suzanne apprend vite les chants enseignés par les maîtresses à l’école de rang Saint-François-Xavier au lac des Quatorze Îles. Elle les chante avec cœur lors du long mille à parcourir à pied qui sépare sa maison de l’école. Elle aime le son de l’orgue de l’église. Elle aurait bien aimé suivre les cours de piano que donnait au village Marie-Laure Tessier, mais à cette époque, c’est si loin pour s’y rendre. Mais, qu’à cela ne tienne. Aussitôt que la famille a disposé d’un peu d’argent, elle s’est procuré un orgue. Encore aujourd’hui, jouer de beaux morceaux de musiques qu’elle a appris à l’oreille reste le plaisir favori de Suzanne et d’André, son mari qui l’admire.
1 Homme fait : Expression familière désignant les hommes ayant atteint l’âge de la majorité de l’époque, soit 21 ans.
2 taximen : Anglicisme, chauffeur de taxi, métier qui était très demandé par les pensionnaires et vacanciers qui visitaient ce coin laurentien en arrivant par le train aux gares de Lesage et de Shawbridge.
3 Dans les années 1950 et 1960, PanPan, personnage télévisé de la série populaire Pépinot et Capucine ou à la Rintintin, vedette canine américaine.
4 Dès 1935 et jusqu’en 1967, la pièce de 1 $ en argent, donc couleur or, contient 80 % d’argent et 20 % de cuivre. Le nickel remplacera par la suite l’utilisation de l’argent comme métal dans sa composition.