Je suis un fils de cultivateur, élevé à la ferme, au milieu des poules, des vaches et des cochons. Quoique présentant des similitudes avec des personnages du roman d’Arlette Cousture, Les filles de Caleb, mon histoire se situe longtemps après la vie d’Ovila et d’Émilie Bordeleau. Mes souvenirs de la petite école de rang évoquent un passé, somme toute pas si lointain dans ma mémoire, mais je conçois que pour une génération plus jeune, je m’apprête à parler du Moyen-Âge.

 

Nous devions parcourir à pied, deux milles chaque jour pour se rendre à l’école. La maîtresse d’école se présentait tôt le matin pour chauffer le poêle à bois, unique source de chaleur. On avait l’électricité pour l’éclairage, mais pas d’eau potable ni d’eau courante pour la toilette. L’école était tout de même équipée d’une sorte de « bécosse intérieure », sise dans une pièce apparentée à une garde-robe, vu son étroitesse. J’ai oublié les odeurs, sinon qu’elles ne présentaient aucun lien de parenté avec le Chanel no 5, mais je me souviens de la profondeur du trou. Quelques élèves étaient désignés pour transporter à la chaudière, l’eau potable, fournie par un voisin de l’école, les Villeneuve. De retour à la classe, nous la déversions dans un genre de citerne métallique, munie d’un bouton pressoir.

 

Le stylo à bille n’existait pas et chacun avait son encrier logé dans un trou de son pupitre. J’ai encore en mémoire, le jour où un livreur avait déchargé sa cargaison de bois de chauffage dans la cour d’école. Tous les élèves s’étaient empressés de corder le bois dans une petite remise attenante à l’école. Il importe de préciser que le modèle d’école que je tente de décrire était propre au milieu rural. Dans ces écoles de campagne, on retrouvait tous les niveaux de la première à la 7e année du primaire. On pouvait ainsi dénombrer, six élèves en première, cinq en deuxième et quatre en troisième année, etc.

 

Deuxième sur deux

Au cours de cette période, j’avais confié un jour à mon grand-père, suite à la réception de mon bulletin mensuel, que j’occupais le deuxième rang de ma classe. Ce dernier m’avait chaleureusement félicité. J’avais toutefois omis de lui dire que nous étions deux dans ma classe de 3e année. Dans ma tête, c’était plus valorisant de l’informer ainsi, que de lui dire que j’étais dernier de classe. Je pourrais épiloguer longtemps sur nombre d’événements ayant jalonné mon enfance, mais je m’en tiendrai aux faits les plus marquants.

 

La religion à l’école

Au cours de ces années, nous étions intoxiqués par la religion catholique et les vertus rattachées à la charité chrétienne. Nous étions jeunes, naïfs et inexpérimentés. Le clergé était aussi puissant que les gouvernements à l’ère de Duplessis. Jamais nous n’aurions pu imaginer que nos prêtres et nos curés, gardiens de la morale, puissent un jour succomber aux plaisirs de la chair. Ce n’est que plusieurs années plus tard que nous avons pris conscience des comportements déviants de quelques-uns de ses membres. Il y avait, si je puis dire « anguille sous roche » pour ne pas dire « sous la soutane ».

 

Le petit catéchisme logeait en tête de nos manuels scolaires. Les nombreux diktats qu’il renfermait n’étaient pas particulièrement songés, je dirais même qu’ils étaient parfois simplistes. Je me souviens encore de la première question, formulée en ces termes : « Où est Dieu ? » et nous répondions en cœur : « Dieu est partout ». Dans ce petit guide spirituel, une large place était consacrée aux péchés capitaux. L’impureté trônait en haut du palmarès. Succomber à cette dernière, c’était prendre le risque de devenir aussi maigre que le Frère André. Les indulgences plénières, très à la mode, constituaient une sorte de renforcement positif. Puis un jour, on n’en a plus entendu parler, la course à la collection des timbres Gold Star, ancêtre des coupons rabais de nos circulaires, avait pris toute la place.

 

J’achète des p’tits chinois

À la fin des années quarante, un mouvement faisait son apparition dans le ciel québécois. On nous proposait d’acheter des p’tits chinois. C’était le langage d’usage dans nos écoles. Cette dénomination mercantile ne passerait pas la rampe aujourd’hui, elle serait à bannir de notre discours.

 

Place aux Anges et à la Sainte-Enfance

Afin de collecter le plus d’argent possible, sans le savoir, notre maîtresse d’école avait démontré un grand sens du marketing. Cette dernière avait conçu un système permettant à chacun de visualiser en direct son degré de générosité. Certes on était loin du parquet de la bourse, mais nous pouvions suivre au jour le jour la progression de nos actions de bienfaisance. Bref, son tableau était stimulant. C’est avec un grand carton, quelques mètres de fil ainsi que de petits anges en papier bien colorés, le tout accroché au mur de la classe que Pierrette avait créé sa mise en marché. Sur des fils disposés à la verticale, coulissaient de bas en haut des anges correspondant au nombre d’élèves de la classe. À cette époque, on ne parlait pas de pièces de monnaie de « un sou », mais de cennes noires. Il suffisait alors de quelques pièces pour permettre à notre ange de s’envoler vers le haut du tableau, de gravir les échelons. Ces derniers étaient munis de structures ailées, d’un début de tronc et dépourvus de jambes. En un mot, ils n’étaient pas équipés pour voler haut. Mon ange à moi n’a jamais fait de bonds assez prodigieux pour aller choir au plafond de la classe. Faut croire que j’étais pingre. De mémoire, nous n’étions pas tant motivés par la charité chrétienne que par notre amour-propre. Voir son ange séjourner au bas de l’échelle eût été mal vu et humiliant.

 

Je n’ai jamais su exactement à quoi avaient servi ces dons. À l’époque, on ne posait pas trop de questions. Je sais toutefois que cette initiative prenait son origine en France, sous l’égide de l’évêque de Nancy et était connue sous le nom de « Œuvre pontificale de la Sainte-Enfance », œuvre bien connue dans le Québec d’alors. Si je découvrais un jour que nos dons aient pu servir à venir en aide à de futurs dirigeants de régimes totalitaires, j’exigerais un remboursement et intenterais un recours collectif.

 

Droits et privilèges versus devoirs

En songeant aux nombreuses manifestations ayant eu lieu au pays, où des gens sont venus gémir, au bord de la psychose parfois, afin de revendiquer leurs droits et privilèges, j’en arrive à croire que dans notre société, tous ont des droits, mais aucun n’a de devoirs. Face aux souffrances infligées à certaines populations, je n’ai d’autre choix que de mettre fin à mes chinoiseries, pour faire place à une plus large réflexion. Une analyse sommaire des récents événements devrait nous faire prendre conscience du caractère relatif de ces derniers. On pourrait réaliser ainsi que nos malheurs, au regard des Ukrainiens, ne sont que de la « bouillie pour les chats » pour ne pas dire de la « POUTINE » pour les chats.

Alain Chaurette