:L’environnement façonne la langue, c’est là une assertion généralement reconnue. Et le Québec ne fait pas exception. Îlot francophone en Amérique du Nord, la province a été exposée à son entourage anglophone, en plus d’avoir longtemps été isolée du reste de la francophonie.
Les locuteurs d’ici ont dû souvent désigner des réalités nouvelles, des technologies novatrices avec le bagage linguistique à leur disposition. Ils ont souvent innové, créant des nouveaux termes, maintes fois adaptant, au risque d’adopter, l’anglais à notre langage quotidien. Ils ont fait preuve d’inventivité, d’humour et de souplesse. Il en est résulté une langue régionale, fraîche, évocatrice, que d’aucuns, comme notre poète-chansonnier Gilles Vigneault, n’ont pas hésité à qualifier de parlure, ancrée dans la terre de chez nous.
Expressions québécoises et mots disparus
C’est ainsi que Guy Thibault, résident de Saint-Hippolyte depuis plus de quarante ans, nous en a donné un aperçu vendredi 28 septembre à la bibliothèque municipale, dans le cadre des Journées de la culture 2018. Historien-géographe de formation, enseignant à Laval pendant 35 ans, Guy Thibault nous a présenté Expressions québécoises et mots disparus, se voulant un bref survol de termes et expressions dont on ignore souvent l’origine et l’évolution. Nous en examinerons et décortiquerons quelques-uns(e)s histoire de nous plonger dans le bain.
Quelques expressions populaires…
Commençons par le coup de foudre, aujourd’hui désignant un sentiment amoureux instantané. Il signifiait plutôt à l’origine un malheur soudain, un mauvais sort. Restons dans l’coup… L’expression donner un coup de pouce voulait dire anciennement frauder. C’était pour un vendeur de produits en vrac d’appuyer discrètement avec le pouce sur le rebord de la balance pour faire augmenter le poids de la marchandise, et du coup le prix aussi. C’était aider la balance. Maintenant, le sens est limité à rendre service, aider tout simplement.
Tout le monde, ou presque, connaît le trinôme se faire enfirouaper, pour se faire avoir, se faire tromper, se faire truander. Le mot enfirouaper tire son origine de l’époque de la Prohibition, où les trafiquants transportaient leurs alcools de contrebande dans des fourrures dont ils se prétendaient marchands. L’anglais in fur wrap(ped) s’est transformé en enfirouaper. Plutôt ingénieux, n’est-ce pas ? Nous avons aussi maintenant se faire passer un sapin, ou un peu vulgaire se faire four…
…une douloureuse…
Nombre de nous, davantage à la campagne, avons souvenance d’entendre notre mère ou notre père nous menacer de la venue du Bonhomme Sept Heures, parce que nous étions malcommodes ou refusions de rentrer à la maison à l’heure convenue. Là encore, nous avons une transmigration de l’anglais. Le bone setter, le ramancheux / rabouteux d’antan, inspirait la crainte lorsqu’on faisait appel à ses services pour replacer une clavicule déboîtée ou un os du bras désaxé. Le chiro improvisé faisait son travail dans un secteur plus discret de la maison, et on peut imaginer entendre le bruit sec des os retombant en place ! On comprend que le bone setter a glissé, par proximité sonore, vers bonhomme sept heures. C’était aussi l’heure à laquelle les jeunes enfants, jouant autour du domicile, devaient regagner la maison, surtout quand l’obscurité automnale s’installait.
… certaines inattendues…
On entend encore chanter la pomme, dans le sens de courtiser, dire des choses gentilles à une femme. Il s’agit d’une déformation de chanter la paume (de la main). Lors du baisemain, plutôt tombé en désuétude, l’homme gratouillait d’un doigt la paume de la femme, une sorte de code signalant son intérêt à mieux la connaître et développer une affinité. On entendait, autrefois, fais pas le teton, pour dire ne fais pas l’idiot. Ça ne fait pas référence à une partie de l’anatomie féminine. Il y a là une déformation de toton, une ancienne toupie, dont le parcours est imprévisible. Faire le toton, c’est se conduire n’importe comment, en écervelé. Si on vous dit d’arrêter de picosser, on vous demande de cesser d’être pointilleux, d’insister sur les détails. Picosser, à l’époque précédant la mécanisation de la coupe et taille du bois, consistait à équarrir un billot pour en faire une poutre. L’opération requérait temps et patience, attention et minutie. Le sens figuré a donc dérivé, la qualité, envisagée comme excès, est devenue agaçante.
… et d’autres délicates
Pour terminer, signalons deux mots et une expression qui peuvent causer malaise et confusion avec nos cousins français. Dans l’Hexagone, un homme peut avoir laissé ses gosses, s’entend ses enfants, à la maison. Un Québécois essaie d’éviter cette situation inconfortable, on le croirait émasculé. Un spectacle formidable, extraordinaire en France sera qualifié, aussi chez nous, d’écœurant. Chez nous les fleurs de macadam, chantées par Jean-Pierre Ferland, désignent les habitants des villes, en France, ça se limite aux prostituées.
Explorer les cachotteries
Guy Thibault nous a permis d’explorer les cachotteries que recèle souvent notre parler, notre parlure du Québec. Il nous a donné le goût, l’envie de rechercher la source de notre langage, pour mieux le comprendre, et peut-être même l’apprécier.
Dans mon esprit, notre langue est créatrice, évocatrice, savoureuse, elle sait s’adapter, certains diront s’enrichir, au contact de son environnement. On peut ne pas toujours être d’accord avec les trouvailles, raccourcis et tangentes qui s’inscrivent dans son évolution. Les gens trouvent les mots qu’il faut, les créent quand ils font défaut. Si certains d’entre nous y trouvent noise, il nous appartient d’en trouver d’autres plus près des racines historiques et de convaincre les locuteurs de les adopter. Mais c’est peut-être là un travail de Sisyphe, une mission à la limite du possible…
Communiquez avec moi par courriel: gdesbiens@journallesentier.ca ou sur la page Facebook du journal Le Sentier pour nous faire part de vos commentaires ou de suggestions de sujets/thèmes à traiter. https://www.facebook.com/Journal-Le-Sentier-24032601631868