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Notre rivière du Nord, son développement économique


Collaboration spéciale de F. Pierre Gingras

F. Pierre Gingras réside à Prévost depuis 1973. Après un passage au Collège militaire de Saint-Jean, il a complété sa technique en génie industriel et l’a appliquée dès l’automne 1966 à la construction des grands ouvrages hydroélectriques d’Hydro-Québec où il a œuvré pendant trente-deux années. Il y a développé le savoir-faire en planification et en estimation des projets, dirigé ce service notamment pour la réalisation du complexe Manicouagan-Outardes, une partie de la Baie-James, et sur l’entretien majeurs des grands ouvrages des rivières St-Maurice, des Outaouais, Bersimis, Gatineau et Beauharnois. Il a participé à l’étude de plus d’une centaine de projets hydroélectriques et le fait toujours, même à sa retraite, notamment avec plusieurs associations professionnelles. Il a réalisé les premières études conceptuelles sur la régularisation des eaux du fleuve Saint-Laurent et l’aménagement hydroélectrique du fleuve McKenzie de même que pour des variantes optimisées des complexes Churchill, Rupert et Grande-Baleine en plus de nombreux autres projets. Il publie parfois des articles scientifiques dans La Presse, Le Devoir et L’Actualité.

 

Membre du Conseil Régional de Développement des Laurentides, il est un des trois fondateurs du Parc régional de la Rivière-du-Nord en 1983, président du Club Optimiste de Saint-Jérôme en 1989-90. Il est l’organisateur des sept Classiques de canots de Ste-Adèle-St-Jérôme et des sept Randonnées à Bicyclettes, qui ont reçu jusqu’à 5 000 personnes dans les rues de cette ville.

Notre rivière du Nord, son développement économique

En quelques pages, nous survolerons ici le rôle magistral tenu par la rivière du Nord dans le développement de la région des Basses-Laurentides, de la nécessité de ses réservoirs d’hier à aujourd’hui, tant pour l’industrialisation d’antan que pour le tourisme et la villégiature qui dominent désormais notre économie et notre société.

Comme partout ailleurs au Québec, notamment le long des rivières St-Maurice, des Outaouais, Gatineau, St-François, Chaudière et combien d’autres, notre bien modeste rivière du Nord a quand même fait de son mieux pour nous permettre de développer et de nous attacher à ce si beau pays des Basses-Laurentides. Si ce développement ne nous a pas permis de recevoir d’énormes complexes d’alumineries ou de papetières comme ailleurs, il nous a laissé des réservoirs tout juste suffisants pour faire de notre magnifique région une des régions touristiques les mieux situées et les plus fréquentées du nord-est de l’Amérique.

 

Au cours de la période 1875 à 1910, avec l’arrivée et le prolongement du chemin de fer, il devenait possible de diversifier les activités économiques de la région. Déjà, à St-Jérôme, plusieurs petites entreprises telles que filatures, moulins à farine, moulins à scie exploitaient chacune modestement une partie des chutes et rapides présents. En fait, avec un œil attentif, on peut encore compter la présence ou les vestiges de quinze de ces installations le long des rives de la rivière dans les limites de St-Jérôme.

La régularisation de la rivière s’impose

Avec l’arrivée de la papeterie de Jean Baptiste Rolland à St-Jérôme, en 1882, il n’est plus pensable de se soumettre aux seuls caprices de la nature qui font qu’au Québec, 50 % des apports en eau de ce genre de rivière s’écoulent lors des crues. On doit pouvoir compter sur un débit constant d’où la nécessité de réaliser des réservoirs pour mettre en réserve ces eaux des crues et les relâcher lors des périodes sèches de la fin de l’été et de la fin de l’hiver. L’électrification est d’ailleurs également commencée, ce qui demande les mêmes besoins.

C’est ainsi qu’en quelque trente années, de 1880 à 1910, de modestes réservoirs seront aménagés afin de régulariser la rivière du Nord. Ces dix réservoirs sont les suivants; à savoir :

 

Le lac Théodore, de sept kilomètres de longueur, porte trois noms: lac St-Joseph, lac en Croix et lac Théodore. Sans sa création par son petit barrage, on pourrait douter de l’existence de ce beau village de St-Adolphe, du moins avec son allure actuelle. On notera que la rivière du Nord, du pied des rapides à Piedmont, face à Pétrole Pagé et ce, jusqu’à la prise d’eau de l’aqueduc de St-Jérôme était exploitée à un niveau plus haut que de nos jours.

Construction des ouvrages

Ces petits barrages étaient généralement constitués de cages à claire-voie, en grosses pièces de bois, équarries ou non, et remplies de pierre (crib). La face amont était revêtue de madriers de trois pouces d’épaisseur et rendue étanche avec une épaisse couche de goudron. Une première partie, qui comprenait la passe déversante était construite alors que la rivière s’écoulait dans la seconde moitié de la rivière. La rivière était ensuite dérivée dans cette passe pendant que l’on construisait la seconde moitié du barrage. Enfin, la passe déversante était fermée avec ses poutrelles de bois afin de procéder au remplissage du réservoir.

Développement économique et industriel des Basses-Laurentides

C’est ainsi qu’avec un débit passablement régularisé, permettant d’exploiter des installations industrielles à longueur d’année, il devenait possible de réaliser « d’importants projets » (pour l’époque). On compte au moins une douzaine de centrales hydroélectriques, quatre papeteries, deux filatures, deux prises d’eau municipales et plusieurs moulins à moudre et scieries.

Les ouvrages de prise d’eau de la centrale Laurentian Power servent de nos jours d’ouvrages de prise d’eau pour la ville de St-Jérôme. D’autres vestiges intéressants sont à identifier notamment au sud de Ste-Agathe à l’aval immédiat de pont de chemin de fer, à l’amont de Val-David, et ailleurs, si un historien le veut bien.

 

Évolution de l’hydrologie de la rivière du Nord

Si le train a permis le développement intensif du tourisme dès les années vingt, ce développement impliquait également que les plans d’eau les plus importants et déjà accessibles étaient justement ces réservoirs. Éternel dilemme d’Hydro-Québec partout en province avec le temps, avec le développement intensif de la villégiature et même l’urbanisation de ces lieux magnifiques, il est de moins en moins toléré par la population de vidanger de façon saisonnière ces magnifiques plans d’eau qui ont pourtant été justement aménagés à titre de réservoirs. On imagine mal, de nos jours, tous les mois d’août, de mettre à sec St-Adolphe, Ste-Agathe ou l’Estérel. Pourtant… il serait très risqué pour quelqu’un d’aller ouvrir les vannes du barrage de Ste-Marguerite!

Or, ces réservoirs étant de moins en moins exploités aux fins de régularisation des débits, il en résulte que le patron d’écoulement annuel de la rivière est progressivement devenu très différent depuis les années quarante, période du début du développement intensif de la villégiature dans les Laurentides. Ces petites centrales d’une puissance de l’ordre de moins d’un à 5 MW, devenues par conséquent à la fois inexploitables et insuffisantes, furent heureusement remplacées en temps par la venue de gros producteurs d’énergie tels la Gatineau Power au début des années trente, puis Hydro-Québec en 1963, forte d’un réseau de plus de 45 000 MW. (Un MW correspond environ à la puissance d’une locomotive.)

 

Rivière du Nord : Une gestion des débits devenue problématique

D’une part, à cause de la villégiature intensive, les réservoirs sont maintenant toujours gérés à leur élévation maximale. Par conséquent, il ne se fait plus aucun laminage des crues; on perd même l’effet de régularisation apporté autrefois par le laminage naturel des lacs. D’autre part, en période d’étiage ou de basses eaux, les réservoirs empêchent même le marnage normal des basses eaux et amplifient l’effet de l’évaporation.

 

Au droit des chutes Wilson, où le débit historique moyen de la rivière est de 22.3 mètres cubes par seconde (un voyage de gros camions 10 roues par seconde), secteur qui nous intéresse ici à cause de la présence de la prise d’eau de la ville de St-Jérôme, les débits mensuels moyens se répartissent désormais ainsi, à savoir, exprimé en mètres cubes par seconde :

 

On comprendra qu’il est devenu passablement difficile pendant certaines périodes de l’année de tirer de cette rivière l’eau potable nécessaire à une communauté croissante de 80 000 personnes. Que nous réserve l’avenir ? Et que dire des crues devenues moins contrôlables ? Comme toujours, des solutions seront trouvées. Quant aux lacs que l’on trouve plus fréquemment autour de nous, tels les lacs de l’Achigan, lac Écho et autres, il arrive qu’ils soient dotés d’un petit seuil de sortie à leur exutoire pour limiter les bas niveaux des périodes d’étiages de la fin de l’été.

Conclusions

Si on résume, notre petite rivière du Nord comme partout ailleurs au Québec, a d’abord permis de pénétrer la région, de voir notamment le Curé Labelle et son fidèle Isidore Martin la sillonner plus d’une fois. Puis, on y a installé des petites usines telles que scieries, moulins, centrales, suivies d’usines beaucoup plus importantes lorsque des réservoirs furent aménagés pour en assurer un débit suffisant à longueur d’année.

 

Ces réservoirs ont provoqué simultanément un développement touristique et une villégiature qui constituent aujourd’hui, directement et indirectement plus de 80 % de notre économie, 90 % selon certains. Des villes comme Ste-Agathe, St-Adolphe et Ste-Marguerite doivent une large part de leur existence à ces lacs, par conséquent à ces barrages pourtant bien modestes.

 

Un dernier mot pour les rêveurs qui proposent de démolir les barrages pour les remplacer par des éoliennes. Un bref calcul MWH pour MWH leur permettrait de constater qu’il faudrait environ 8 000 éoliennes de 450 pieds de hauteur en fonction de 20 à 23 % du temps pour remplacer la seule centrale de Beauharnois, de 1722 MW qui elle opère 82 % du temps, et ce, au moment précis où on en a besoin. Je ne crois pas que 8 000 éoliennes constituent une alternative plus verte que la présence de la centrale de Beauharnois, pas plus que je crois que la démolition des barrages et la mise à sec des lacs de nos Laurentides seraient appréciées. La nature, encore une fois, s’y est très bien adaptée. On comprendra peut-être enfin pourquoi les ingénieurs classent l’eau parmi les boissons fortes!