«« Les joueurs de tours d’aujourd’hui ne sont plus les “momeurs” 1 d’autrefois », partageait Phonsine Gohier, 70 ans 2 à Monique Barré 3, alors jeune étudiante qui l’interro geait pour un travail scolaire, en 1939.
Quel mot fascinant que celui de « momeur » ainsi noté. Le décor sombre des soirées d’automne, pays des esprits maléfiques, revenants et monstres de nos imaginaires d’enfants, loin de ceux des jeunes « halloweeneurs » d’aujourd’hui, favorise sans doute le moment pour parler de ce jeu alors réservé seulement aux adultes.
Décor inspirant, soirées sombres automnales
Cette tradition a existé dans quelques familles hippolytoises. « Bien futés ceux qui les reconnaissaient », ressassait Emma (Lachance) Sigouin, malade en 1957, avec sa fille adoptive Marie-Ange 4 qui s’occupait d’elle, lors de ses derniers mois de vie. « Emma était reconnue pour être peureuse, racontait plus tard Marie-Ange (Sigouin) LeDoux. Alors, tous ceux qui lui jouaient des tours en avaient pour leur bénéfice! Elle était encore plus fébrile lors des soirées sombres d’automne et à la venue du mois de novembre. Rien pour l’aider, à l’église, les homélies du curé abordaient les thèmes de la mort et de l’âme ressuscitée pour préparer ses ouailles aux célébrations de la Commémoration des fidèles défunts. Esprits maléfiques, fantômes et revenants occupaient donc ses pensées. Même la protection de sa maison calme, devenait aux moindres petits craquements, lieu de présences inquiétantes et invisibles le soir, à la lueur blafarde de la lampe à l’huile. Amis et parenté en profitaient donc pour s’amuser.
« Momeurs » hippolytois
Ainsi, lorsque ces derniers se présentaient lors de ces soirées, emmitouflés sous tellement de couches de vêtements qu’on distinguait à peine leurs pupilles brillantes, elle s’affolait et le jeu commençait. Jos son mari jouait le jeu et à son cri d’épouvante, quittait calmement sa berçante et sa pipe et allait ouvrir tandis qu’Emma se cachait dans l’entrebâillement d’une porte. Assis sur le banc de « quêteux », au bord de la porte, la première partie du jeu consistait à poser des questions aux « momeurs » muets et impassibles ou à lancer des affirmations afin que dans leur réaction, on découvre leur identité. Jos, les examinant, avançait quelques noms. Emma, toujours en retrait, alimentait son mari d’indices. « C’est Philias. Dis-y que j’ai reconnu son grand nez. C’est Poléon, toujours les bottes sales pour salir mon plancher ». Et Emma, passait ainsi les hommes de sa famille et ceux des Sigouin. Elle hésitait à nommer les filles. « Si elle avait su, ajoutait Marie-Ange! Regarde-moi pas de même, j’t’ai reconnu, tu peux t’dévoiler », finissait par dire Emma, fâchée. Mais, immuable, rien ne se passait.
« Bienfaiteur » 5 pour éviter les mauvais tours
Comme toutes tentatives de les dévoiler ne réussissaient pas et Emma et Jos, connaissant le prix à payer pour éviter les tours possibles de leur échec à ce jeu, entamaient la deuxième partie du jeu. Emma, de mauvais coeur, sortait son fameux sucre à la crème qui faisait sa réputation et Jos, des verres et du « bienfaiteur ». Peut-être qu’en avalant gâterie et p’tit boire, ils se dévoileraient ! Mais rusés, les momeurs se retournaient et enfilaient le tout, sous leur déguisement.
Puis, dans une sorte de signal imperceptible, les momeurs se levaient et partaient, sans rien dire. Jamais les hôtes ne savaient avant le lendemain, s’ils avaient été satisfaits. Mécontents, ils retrouvaient le lendemain, cheval, vache, poules et cochons libres dans les champs. Parfois quelques rangées de bois de chauffage, longuement cordées, étaient jetées par terre. Si, au contraire, le jeu leur avait plu, ils cachaient sous un coin de la galerie ou ailleurs, soit un outil réparé que Jos croyait perdu, une tresse de tabac 6 apprêtée et odorante, un tricot ou une tuque, voir même des mitaines confectionnées à la main dont Emma avait projet de réaliser.
Les Lachance, conservateurs des traditions
Ce n’est guère un secret, les membres de la famille Lachance étaient reconnus pour ses nombreux savoirs artisanaux et agricoles, mais aussi ses riches traditions artistiques et patrimoniales. Leurs maisons ancestrales de style canadien, dont celles de l’ancêtre Joseph et de son fils Élie mort à 101 ans, maisons toujours bien conservées, en sont de riches témoins.
Note de l’auteur : Ce thème est abordé dans le livre du 150e, à paraître en décembre.
1: Expression tirée de l’ancien français et ayant des origines germaniques du mot mum signifiant muet, et qui a donné en français, le verbe « momer» signifiant se masquer, faire des mascarades et du nom de famille Momer que portent actuellement seulement cinq personnes au Québec. C’était aussi un des noms d’un député de l’Assemblée nationale de 1902 à 1904, Arcade Momer-Bissonnette.
2: Alphonsine dite Phonsine (Maillé) Gohier (1867-1951), femme de Damase Gohier (1862-1939) qui habitaient le village en 1939.
3: Étudiante résidente au lac de l’Achigan dans les années 1930 et qui a rédigé un cahier de notes sur l’histoire de Saint-Hippolyte.
4: Souvenirs partagés par Marie-Ange (Sigouin) LeDoux, vers la fin de sa vie, à Antoine Michel LeDoux qui les a notés.
5: Expression populaire désignant le genièvre (gin) de la marque commerciale Beefeater ou De Kuyper Genièvre Geneva.
6: Le tressage des feuilles de tabac séché facilite le rangement et le transport