Tout commençait par la messe de minuit. Une tradition romaine plusieurs fois millénaire. Le plus beau « coq du village » entonnait de sa belle voix le Minuit chrétien. La chorale ajoutait la joie. Le curé était en grande forme. L’église était remplie. Tous portaient leurs « vêtements du dimanche ». Un moment de grâce qui nous faisait oublier tous les petits problèmes du quotidien. Suivait le réveillon et surtout la remise des cadeaux. Une autre grande activité. Un bel épisode de l’émission Temps d’une paix nous fait revivre ces grands événements.
Les « diners » de Noël et du Jour de l’An de ma jeunesse avaient lieu chez les grands-parents maternels, Bernadette et Adolphe Pilon, après la Grand-messe et la fameuse Bénédiction paternelle. Pour nous les jeunes, habitués à entendre tonitruer le verbe haut et fort de nos oncles et tantes, le fait de voir tous ces adultes dans la force de l’âge mettre un genou à terre, la tête baissée, écouter le Patriarche, qui pendant quelques instants avait le même pouvoir que Dieu, les bénir et les voir faire le signe de la croix était très impressionnant. Ce beau geste nous apprenait à respecter l’autorité, tout simplement. Nous étions plus de 42 personnes dans la petite maison en pièces sur pièces.
Les voisins venaient offrir leurs souhaits aux grands-parents. Grand-père Adolphe les recevait avec le même verre de gin (épaule carrée) pour tous ces visiteurs. Personne ne parlait de microbes en ces temps-là. Nous vivions entre nous… Après avoir bien mangé et bu, la dinde, la farce, les atocas, les patates en masse, le lard salé sorti du baril de la cave ou il « cuisait » depuis la boucherie du mois d’octobre et le boudin, etc, les adultes jouaient aux cartes et les jeunes au jeu de pichenotte. Une fois, tante Délise, la sœur de mon grand-père Adolphe, la plus vieille de la maison, fut invitée à commencer à jouer aux cartes. Elle devait se choisir un partenaire. À ma grande surprise, elle m’invita dans le monde des adultes. J’avais 12 ans. Elle m’avait déjà vu jouer au 500. Un grand honneur pour moi. Nous nous assîmes donc à la table centrale, deux de mes oncles, champions aux cartes, devinrent nos adversaires. Nous battîmes la première tablée, la deuxième, la troisième, ainsi de suite pendant tout l’après-midi. La chance était de notre côté. Tante Délise était tellement énervée, qu’à force de déposer avec force les cartes sur la table, elle avait brisé la vitre de sa montre. Mes oncles ruminaient et n’étaient pas contents. Ainsi va la vie.
Les « soupers » de Noël et du Jour de l’An de mon enfance se déroulaient du côté paternel. Ma tante Florence recevait pour Noël, avec sa fameuse soupe au Blé d’Inde, et ma tante Lucille recevait pour le Jour de l’An. Après un repas gargantuesque, les adultes jouaient au 500. La télévision n’était pas encore arrivée. Mes cinq tantes, leurs conjoints et les 21 enfants animaient la petite maison. J’étais toujours content de revoir les cousins de Kingston, Détroit et Calgary. Après le souper, vers sept heures, nous recommencions à jouer aux cartes. Je parlais français à mes oncles, qui ne le parlaient pas… ils me répondaient en anglais. Je les aimais bien. J’aime le jeu de 500, une activité très sociale. Ma mère disait souvent : « Au lieu de dire n’importe quoi après le repas, jouons aux cartes. »
Nous avons passé le dernier Noël seuls chez nous, mais avec nos trois garçons, leurs épouses et les huit petits-enfants, nous avons joué au 500 par Zoom, un compromis temporaire en attendant que le bon temps revienne. Je suis bien fier, la transmission du jeu se fait « pour la suite du monde ».