Discriminer le vrai du faux est un réflexe salutaire, mais entretenir des soupçons malveillants, farfelus et non fondés, quoique parfois inconscients, en est un autre.

En temps de crise, bon nombre de discours mettent en éveil la probation observée chez certaines personnes à tout mettre en doute, à croire que sur certains sujets on leur cache la vérité. C’est de cette méfiance innée ou acquise, exacerbée et gonflée à bloc, que se loge le complotisme. « Un mal qui répand la terreur, un mal que le ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre, la peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom. » Cet extrait, tiré de l’œuvre de Jean de Lafontaine, œuvre d’une autre époque, n’est pas sans évoquer pour moi cette peste moderne, le complotisme.

Où donc est la virgule?

Je vis au fond des bois et ma culture est plutôt approximative sur certains sujets. Le dictionnaire que je possède est une édition de 2016. Je suis branché à Internet depuis quelques mois, mais je ne sais pas encore m’en servir correctement. Je compte toutefois pallier cette lacune au cours de la prochaine décennie. J’ai tout de même osé écrire le présent texte à l’aide de ma tablette. Hélas, dès le départ, j’ai rencontré un problème, je n’ai pas trouvé la virgule. Sans hésiter, par dépit, j’ai sauté sur ma plume en me disant que je n’étais pas né à la bonne époque.

Après avoir longuement réfléchi et pris conscience de mes nombreuses carences pour traiter d’un tel sujet, je me suis dit : « Alain, embarque-toi pas là-dessus d’autant plus que si tu vas au fond de ta pensée, tu risques de te faire des ennemis(es) ». Bref, il est devenu clair dans mon esprit que je n’avais pas les préalables requis pour parler du complotisme, surtout dans un journal.

Pas dans le dictionnaire

Après un moment d’hésitation, animé et hanté par le besoin d’apporter un autre point de vue et surtout de faire un contrepoids à cette mouvance actuelle, je n’ai pu résister à la tentation de fouiller ce concept, une petite voix me disant qu’après tout, je n’étais pas obligé de le publier. En m’inspirant d’une maxime qui dit que : « Traiter un sujet avec humour n’implique pas qu’on lui accorde moins d’importance », je venais de trouver un fil conducteur me permettant de discourir sur le sujet. Soucieux de bien définir chaque terme, je me suis renseigné. Mon Larousse de 2016 affiche le mot comploter, mais omet de proposer des mots « complotisme » et « complotiste ». Cette découverte étonnante m’a réjoui; je me suis dit que je pourrais profiter de cette occasion pour m’octroyer une licence et imposer ma propre définition avant que les vieux bonzes de l’Académie française se mettent le nez dedans.

Je vous propose donc quelques définitions. À vous de choisir celle qui traduit le mieux votre pensée. Espérant que M. Larousse ne fasse siennes, les notions de mes idées. Dans les circonstances, j’ai choisi d’y aller de mes perceptions et de ne consulter aucun autre ouvrage afin de ne pas contaminer mon esprit.

Complotisme :

  • Forme sévère de daltonisme intellectuel responsable, chez les personnes atteintes, de la difficulté à distinguer une zone verte d’une zone rouge.
  • Maladie contagieuse couramment observée chez les personnes s’abreuvant exclusivement à la mamelle des réseaux sociaux, cette dernière s’avérant parfois plus dommageable que le virus lui-même.
  • Comportement inné ou acquis observé chez l’humain, ayant pour effet chez les adeptes de biaiser la réalité afin de répondre à des angoisses ou à des préoccupations inconscientes liées à la vie quotidienne.
  • Mal issu d’un besoin viscéral d’obtenir des réponses claires à des questions auxquelles la science ne peut répondre.
  • Mouvement calqué sur le modèle des groupes sectaires, où gourous et maîtres à penser ont été remplacés par les réseaux sociaux. Dans les deux cas, l’objectif premier est de convaincre et de s’adjoindre le plus grand nombre possible d’adeptes disposés à épouser cette philosophie.

Complotiste :

  • Se dit d’un individu au comportement compulsif, se manifestant par une recherche constante de propos conformes à ses idées solidement ancrées chez ce dernier, afin de s’alimenter et de se conforter dans ses convictions.

Opter pour une neuvaine

Heureusement, dans mon entourage, peu de personnes correspondent à ce profil. Toutefois, si un jour, il devait s’en trouver une, jamais il ne me viendrait à l’idée de la confronter ou de la mépriser. D’instinct, j’opterais pour une neuvaine à Sainte-Anne-de-Beaupré afin de lui venir en aide. À la relecture de cette fable de Lafontaine portant sur la peste, on peut y lire ceci : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Comment ne pas établir un lien entre la peste et le complotisme, puisqu’il faut l’appeler par son nom, en songeant aux dommages collatéraux engendrés par cette dérive!

Enfin sur un ton plus joyeux et moins moralisateur, il m’arrive parfois de penser qu’en refusant d’être à l’écoute assidument des réseaux sociaux, je me prive de connaissances fondamentales à savoir que la terre est plate et qu’Elvis n’est pas mort.

Alain Chaurette