Lors de ma quête de souvenirs pour la rédaction d’une œuvre historique,1 de nombreuses anecdotes et témoignages m’ont été confiés dont certains avec beaucoup d’émotion. Ces confidences, on le sait déjà, révèlent richement l’âme et le coeur de ceux qui ont vécu ces événements. Afin de donner la place qu’il convient à ces précieux legs dans la mémoire patrimoniale municipale, en voici le récit.
Né en 1903, mort en 1920
Le territoire de la municipalité de Saint-Hippolyte, comme plusieurs autres dans les Laurentides, a été voué intensivement à l’exploitation forestière, de 1791 jusqu’aux années 1950. Les cantons britanniques créés sur les territoires à l’extérieur des limites seigneuriales et offerts aux industriels maritimes de Grande-Bretagne, ont été vidés de leur bois d’œuvre et voués à la constitution d’une flotte marchande, mondialement la plus puissante à cette époque.
Cantons du Nord
Annuellement, dans les Cantons du Nord (régions des Laurentides et Hautes-Laurentides), les hommes des familles pauvres canadiennes-françaises : célibataires, chefs de famille et garçons en âge d’y travailler « montaient aux chantiers » durant près de cinq mois durant l’hiver. La vie y était rude et certains y ont trouvé la mort.
Chantiers de la Rouge et de la Lièvre
Sur le territoire de Saint-Hippolyte et de Saint-Calixte, de petits chantiers font vivre temporairement des familles hippolytoises et quelques bûcherons engagés.1 Certaines y tirent également des revenus de la fabrication de la potasse et de bardeaux de pin et de cèdre.2 Mais les chantiers qui engagent le plus de bûcherons se situent sur les rivières la Rouge et la Lièvre dans l’Outaouais. Pour s’y rendre, les Hippolytois empruntent deux lignes de compagnies de chemin de fer : la Canadian Northern Railway qui relie Saint-Jérôme à Saint-Sauveur et inaugurée en 1892, où de là, ils embarquent dans la ligne de la compagnie du chemin de fer de colonisation de Montfort, qui, de 1890 jusqu’à 1903, reliera progressivement Christieville, Morin-Heights, lac Chevreuil, Montfort, Laurel, lac des Seize-Îles, lac des Pins, Weir, Arundel et Huberdeau.
1 Des chantiers ont vu le jour momentanément près du lac Écho : Dagenais, lac Connelly : Groleau, Hamilton, lac de l’Achigan : Malone, Coursol, Labonté, Desmarais, Limoges, Latour, Juteau, Fournelle, lac du Pin rouge et en Cœur : Morin, Labelle, 1er rang d’Abercrombie : Bertrand et 8e : Richer. Les Lachance bûchent sur des lots de Saint-Calixte.
Famille Dominique Gohier et Herméline Desjardins : 1er rang de Wexford (autrefois chemin Abercrombie, aujourd’hui, chemin des Hauteurs) 3
En 1895, Dominique Gohier (1868-1911), fils de Louis Gohier (famille habitant plus au sud sur le territoire de Saint-Hippolyte), épouse Herméline Desjardins (1874-1927). Le couple s’installe sur un lot du 1er rang de Wexford. Ils ont six enfants : Ange-Anna, Joseph-Ernest, Anna, Marie, Simone et Hippolyte.
En 1915, à l’âge de 17 ans, Joseph-Ernest Gohier dit Jos a trouvé tragiquement la mort écrasé par un arbre qu’il abattait. Sa famille conserve encore précieusement ses dessins faits enfant, dont celui du train de Saint-Jérôme lors du seul passage de Jos dans cette ville, à l’âge de 12 ans.
La dure vie d’un bûcheron
Les conditions de vie au chantier sont pénibles, et les conditions d’hygiène, quasi absentes. En raison de la promiscuité et du manque d’hygiène, les couchettes et les hommes sont infestés de poux et de punaises. La nourriture préparée par le « cook » est peu variée, du moins dans les premiers temps : lard, « beans », pain, soupe au pois et du thé très fort comme seul breuvage. Debout à cinq heures, les bûcherons travaillent jusqu’à la brunante, c’est-à-dire plus de dix heures d’affilée, en plus de marcher longtemps pour se rendre jusqu’au territoire de coupe puis revenir au camp. Les hommes bûchent six jours par semaine, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il gèle.
Généralement, ils travaillent en équipe de trois : deux bûcherons qui coupent les billots à l’aide de haches et de godendards, et un charretier qui empile les billots sur le traîneau et conduit le tout jusqu’à la jetée située en bordure d’un lac ou d’une rivière. Les charretiers doivent également entretenir les chemins secondaires et le chemin principal en coupant les branches, en foulant la neige, en glaçant le chemin ou en y jetant du sable pour freiner le traîneau dans les côtes. Tout le travail est supervisé par le contremaître ou « foreman », qui dispose de toute l’autorité et qui est parfois d’une dureté extrême avec ses hommes. Le salaire quotidien d’un bûcheron est d’environ 1 $ en 1923; après la Crise de 1929, ce salaire chute presque de moitié.
Source : Patrimoine culturel de la MRC d’Antoine-Labelle, La drave et les camps de bûcherons, Patri-Arch, 2016.
MERCI à Yvon Legault, fils de Marie Gohier et sœur de Jos qui généreusement m’a confié ce récit avec une vive émotions.
1 LeDoux, Antoine Michel, Saint-Hippolyte. Sur les chemins de son histoire, 1869-2019, Municipalité des Saint-Hippolyte, 2019, 228 pages.
2 LeDoux, Antoine Michel, Saint-Hippolyte. Sur les chemins de son histoire, 1869-2019, Municipalité des Saint-Hippolyte, 2019, 228 pages, p. 31.
3 LeDoux, Antoine Michel, Saint-Hippolyte, Sur les chemins de son histoire, 1869-2019, Municipalité des Saint-Hippolyte, 2019, 228 pages