Teste de Jeanne Farley
Le son de la cloche annonçant notre liberté retentit dans mes oreilles à deux heures quarante. Chaque étudiant est au pas de course pour ne pas manquer leur autobus ou simplement par envie de quitter l’établissement déprimant. Je n’ai pas de temps à perdre aujourd’hui, je travaille à quatre heures ce soir alors je ne tarde pas moi non plus. Les salutations du jeudi ne sont que de brefs signes de mains pour mes amis.
Je n’imagine pas comment cette fin de journée d’école se serait déroulée si nous avions été au courant de ce qui nous attendait. Des éclats de rire et de gros sanglots sûrement. Les souvenirs de ces cinq années au secondaire, mais aussi le moment de fermer la boucle plus tôt que prévu.
Si ça a été ma fin de secondaire, ce n’était rien comparé à ce qui s’en venait.
Mon « amie », l’anxiété est déjà en ma compagnie tous les jours. Je n’ai pas besoin qu’elle s’assoie sur le coin de mon bureau et qu’elle me rappelle que j’ai une caméra qui montre mes faits et gestes à trente personnes pour une période de trois heures. Ces moments virtuels ne facilitent également pas mon trouble de l’attention qui est relativement élevé. Il n’y a pas vingt mille endroits où s’installer à la maison pour une rencontre « Zoom ». Mon emplacement est sur mon bureau d’art. Il ne faut pas s’attendre à ce que je ne touche pas à mes pinceaux et mes crayons. Par contre, ce n’est pas évident de prendre des notes de français et de finir mon tableau au même moment.
Allumer ma caméra, écouter le professeur en le regardant et ne pas oser m’exprimer dans cette classe à distance parce que tout le monde à l’air de vouloir aller faire autre chose. Les fois où j’ai osé le faire, j’ai senti les capillaires de mes joues se gorger de sang. Je ne faisais pas que les ressentir, je voyais graduellement une teinte rouge vif s’installer sur mon visage par le retour de ma caméra. Pourquoi je participerais encore si c’est pour passer par un moment semblable ?
En y pensant bien, je réalise que j’ai eu une vie sociale moins fructueuse que ma meilleure amie qui a déménagé en France il y a un an. Elle a eu la chance d’avoir un apprentissage partiellement en présentiel. Mon amie a changé de pays, est passée du secondaire à l’université et a réussi à se faire un groupe d’amis. En neuf mois, je ne compte plus le nombre d’amis que j’ai perdu, mais je sais très bien que je ne m’en suis fait aucun. J’ai eu dix-huit ans aussi. Il est facile d’affirmer que je ne m’attendais pas à souligner ce passage important seule avec ma mère.
Je fais partie des rats de laboratoire qui vont avoir probablement mangé la plus grosse droite de la part de la COVID-19. Nous sommes ceux qui ont été privés de leurs derniers moments d’adolescence, ceux qui ont perdu leur appartenance et ceux qui ont continué de se battre pour leur propre éducation. La différence que j’ai avec l’année plus vieille que moi, c’est qu’ils avaient leurs racines d’installées au cégep. La différence que j’ai avec l’année plus jeune, c’est qu’ils ont continué d’avoir une vie entourée de professeurs et d’autres étudiants. Il sera difficile de me trouver des repères l’automne prochain. Malheureusement, j’appréhende avec inquiétude ma seconde année de cégep.