Par les temps qui courent, voir que d’autres personnes, bien solides, vivent les mêmes doutes que moi, se posent les mêmes questions ou ressentent les mêmes malaises peut donner un peu de répit à ma vision dévalorisante de moi-même.

 

Voici les mots de Geneviève qui nous donnent à penser

Pis vous, comment fonctionnez-vous en ce moment ? On ne se demande même plus si on va bien, la note de passage est passée au « ça va ». Je suis à une bonne place mentalement. J’ai de l’argent pour me payer un toit à moi toute seule dans une magnifique place que j’adore. Le rêve. J’arrive également à me payer de nouveaux meubles, de l’art, de la bouffe que j’aime et j’ai un animal qui me donne beaucoup d’amour et juste assez de fil à retordre durant mes meetings. J’ai une famille et des ami(e)s présents et aimants. En santé, surtout.

 

Ça devrait aller, non ? Même, ça devrait « mauditement » bien aller, non ? Alors pourquoi je n’arrive pas à me lever et à me coucher à une heure décente ? Pourquoi mes semaines me paraissent interminables ? Pourquoi je n’arrive plus à mettre de l’amour dans ce que je fais, malgré le travail que j’adore ? Pourquoi je n’ai plus le cœur à aucun ouvrage ? Pourquoi je laisse tout d’un coup mes vêtements traîner et la poussière s’accumuler ? Pourquoi il y a une journée où tout va bien, et l’autre, tout va mal ? Pourquoi des fois je ne ressens plus rien et d’autres fois je ressens tout en même temps ?

 

On connaît le dénominateur commun, bien évidemment. Mais il n’est plus suffisant. Je n’arrive plus à utiliser ce mot pour éponger la douleur. Par douleur, je ne parle pas de symptôme. Je parle de la peur de revenir en arrière, de ne jamais réellement avancer. Par douleur, je parle de regarder un système de santé qui s’effondre à chaque vague, sans que ma maigre contribution monétaire annuelle et mon empathie y changent quoi que ce soit. Par douleur, c’est d’avoir peur que des symptômes d’anxiété ne reprennent le dessus et m’emportent pour de bon.

 

Fatiguée, écorchée, malmenée par je ne sais quelle pensée terrifiante, je me suis toujours relevée peu importe l’état dans lequel j’étais. J’ai appris à panser mes douleurs grâce à ma mère, mes sœurs, mon médecin, mes médicaments, ma psychologue. Je me suis même mise à aimer la course et à la pratiquer l’hiver. Fallait ben une pandémie mondiale. Je fais tout ce qui est en règle pour bien aller. Je suis plus solide que jamais mentalement et physiquement. Mais les contacts sociaux, des éléments vitaux, me sont périodiquement coupés pour une durée indéterminée. En attendant la prochaine vague, le prochain cataclysme. Comme un mauvais rêve qui recommence. C’est l’impuissance totale devant notre propre quotidien.

 

Et je n’arrive plus à fonctionner sans ces contacts sociaux. Je l’ai fait pendant près de 22 mois, à coups de 5 à 7 virtuels, d’anniversaires, de Fêtes, de meetings, de brainstorms, puis de meetings encore et encore, mais je n’y arrive plus. Le besoin de contacts sociaux, d’une routine au bureau, d’une vie à l’extérieur de mon appartement m’est tellement nécessaire qu’il m’empêche de fonctionner présentement.

 

Je n’ai pas assez renfloué les coffres de chaleur humaine pour me permettre de vivre et de travailler à l’heure actuelle. Je n’insinue pas connaître le remède à tout ça. Je ne prétends pas savoir comment gérer une pandémie, encore moins comment apaiser le système de santé. Tout ce que je veux dire, c’est qu’outre les morts quotidiennes (pensées aux familles), des gens s’éteignent. À force de rompre les liens, des lumières faiblissent doucement, silencieusement, sans le moindre écho. Ces gens ne feront pas les manchettes. Et quand ils les feront, il sera trop tard.

 

Je ne sais pas à qui je m’adresse, encore moins pourquoi je décide de prendre la parole sur le sujet, mais tout ceci m’habite trop pour que je laisse ces pensées devenir une maladie. Ou un virus. Je vous dirais d’ouvrir les restaurants, les salles de spectacle, les bureaux. Tout pour apaiser ceux qui souffrent en silence, non pas du variant, mais du mal de vivre.

Geneviève Jetté

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