Nous sommes en 1910, il est sept heures quarante-cinq en ce samedi ensoleillé du 11 juin. De très loin on entend le bourdon de l’église de Saint-Hippolyte résonner à toute volée, signe d’un mariage important. Son message réjouit toute la communauté.
« Gazouillis » d’autrefois
Difficile d’imaginer qu’autrefois la cloche de l’église « gazouillait » les nouvelles de la communauté. Et pour les comprendre, il fallait savoir interpréter le message que portaient ses tintements. Forts et longs, l’événement était grandiose et rempli de réjouissances; faibles et courts, ils appelaient à la discrétion; lourds et solennels, au recueillement.
Voix de Dieu
L’art de tirer la corde et de donner l’impulsion du message de la cloche était réservé au bedeau. Fruit d’un subtil apprentissage de sonneur de cloches, appris par compagnonnage, cet art était d’une grande importance pour les paroissiennes et paroissiens. Symboliquement, le langage de la cloche matérialisait la voix de Dieu.
Rythmer le quotidien
Le paysage campagnard silencieux d’autrefois n’était meublé que des bruits rassurants de la quotidienneté. La cloche du village, entendue de très loin, règlementait les aspects de vie sociale et spirituelle de la communauté. Marquant chaque heure, elle conviait les paroissiens aux cultes (matines, angélus, célébration, élévation, vêpres, baptême, mariage et glas), aux activités de vie communautaire et, alertait des dangers imminents : incendies et inondations.
Nous sommes le 7 mars 1875. Répondant à l’Ordonnance de la visite pastorale du 9 juillet 1874 de Mgr Fabre, évêque coadjuteur du diocèse de Montréal, « les marguilliers de l’Œuvre [sic] et Fabrique de St-Hippolyte ont adopté les pratiques et tarifs suivants pour les rites et les célébrations de la Paroisse de St-Hippolyte ».
Source : Délibérations Fabrique Saint-Hippolyte 1869-1928, 22e feuillet.
Cloches heureuses
Les cloches heureuses : celles d’un mariage, d’un baptême, d’une confirmation étaient légères et frivoles, tel que les mélodies d’un carillon font s’envoler ceux qui les écoutent. Les mariages en été sont à sept heures. Simple, il coûte 1,50 $, les mariés se tiennent simplement debout devant la balustrade durant la célébration et la cloche se fait à peine entendre. Ceux en hiver se célèbrent à huit heures et selon leur importance, coûte 6,25 $. On y déploie le tapis rouge, on y place quatre chaises, on utilise un plateau d’argent pour les anneaux, on allume des chandeliers et on place un bouquet de fleurs à l’autel. La cloche sonne alors longtemps et joyeusement. Les baptêmes sont célébrés généralement après la grand-messe du dimanche. Lors de cet événement heureux, le bedeau tire la corde à quelques reprises pour 50 ¢. Plus on veut partager sa joie, plus on ajoute de 5 ¢ pour chaque coup supplémentaire.
Cloches tristes
La cloche triste est sombre et grave. C’est celle sans joie du glas des funérailles. Profonde comme le mystère de la mort, elle exprime le « dernier message » du défunt que précisent ses dernières volontés. Un service de première classe, se célèbre l’été à huit heures trente, l’hiver à neuf heures trente. Un service ordinaire est plus tôt : l’été à sept heures trente, l’hiver à huit heures trente. Son prix varie en fonction des accessoires utilisés. Les funérailles « simples » d’un enfant coûtent entre 1,50 $ et 2,70 $, pour un adulte, entre 5,20 $ et 13,00 $. Les funérailles solennelles peuvent coûter jusqu’à 38,20 $. Ils incluent : des tentures sombres installées partout dans l’église et une chorale qui entonne du début à la fin de la célébration, de nombreux chants de libéra au jubé. Le célébrant, au porche de l’église, accueille la tombe couverte d’un drap et qui est soutenue par des porteurs. Ouvrant la procession, précédé d’une croix, il est suivi des membres de l’assemblée et se rend jusqu’au catafalque sur lequel le cercueil est déposé. Des chandeliers l’entourent et un bouquet de fleurs coupées y est déposé, selon ses volontés.
Recueillement : angélus et glas
Je me souviens enfant, qu’au son de la cloche de l’église, ma mère imposait le silence dans la maison. Attentive, elle écoutait. Lors des trois angélus de la journée : matin, midi et soir, continuant son travail, elle entamait un Ave Maria auquel il fallait répondre. Au son d’un glas profond et long, elle s’arrêtait, fermait les yeux et se recueillait. Tant de fois ai-je vu une larme sur sa joue et perçu un soupir. Le temps atténuait rarement ses souvenirs.
Écho des paysages hippolytois
Autrefois, un certain silence régnait à la campagne, alors sans appareils motorisés de toutes sortes et d’électricité. Le territoire hippolytois avec ses vastes plans d’eau et ses montagnes dénudées d’arbres, résultat du commerce florissant d’exploitation forestière depuis 1820, était reconnu pour porter le son au loin. (Un lac porte même le nom d’Écho!) Pour briser l’isolement des rangs, on se faisait même un point d’honneur de couper tout arbre qui faisait obstacle à la vue.
Les vacanciers pensionnaires étaient surpris du chant matinal du coq d’un voisin répondant en écho à celui moins fringant de la ferme. Au beuglement des animaux dans les champs ou dans les bâtiments qui quémandaient une traite libératrice de poids et à manger. Le martèlement entendu des fers d’un cheval sur les cailloux de la route qui annonçait le passage d’un voisin se rendant au village ou en revenait, laissait du temps à la maîtresse de maison de replacer son chignon, de rabattre son tablier sali et de sortir sur le perron. De loin, sans arrêter la lente progression du cheval, on échangeait des nouvelles, on confiait une lettre à poster ou une liste de commissions à rapporter. L’entraide était de mise.