Une biographie de meurtres et de police
Georges Farah-Lajoie est un immigrant syrien qui s’est très bien intégré à sa société d’accueil, malgré quelques écueils. Son histoire commence à Montréal au début du XXe siècle. Il venait de Damas en Orient. Il nous donne un exemple positif d’un étranger qui réussit à se faire accepter grâce à ses compétences et à sa capacité d’adaptation. Il a été élevé dans la culture chrétienne. Il parlait cinq langues. Il prit le nom de Lajoie, qui était l’équivalent de Farah en français, pour se rapprocher des Canadiens français. Pour s’intégrer un peu plus, il épousa une Québécoise, Marie-Anne Chartre, et eut sept enfants. Il dut travailler très fort pour en devenir membre à part entière. Il commença à gagner sa vie, comme vendeur itinérant.
Il entra dans la police de Montréal en 1906, après avoir franchi beaucoup d’obstacles. Il dut s’y prendre à plusieurs occasions pour se faire admettre. Il est le premier détective scientifique du Québec. Il innova en reprenant des enquêtes abandonnées. En appliquant les méthodes d’enquête scientifique, si utilisées de nos jours. Il était le seul représentant des communautés syrienne et libanaise dans la police.
Sa première grande affaire marqua la population. Le 22 janvier 1922, le corps d’un étudiant est trouvé inanimé dans la neige. Le sergent-détective Farah-Lajoie est désigné pour mener l’enquête et élucider l’affaire. Le mort se nomme Raoul Delorme. Après une enquête rapide, Farah-Lajoie affirme que le jeune a été assassiné par son demi-frère, l’abbé Adélard Delorme, un prêtre de l’Église catholique, qui a la réputation d’être un grand dépensier. Dans une société catholique mur à mur, il réussit quand même à faire traduire en justice ce curé, soupçonné du meurtre. Ce fut l’un des grands procès du début du siècle. Le prêtre fut donc accusé de meurtre. C’était une première dans notre histoire. La hiérarchie religieuse n’apprécia pas. Le procès sera repris trois fois entre 1922 et 1924. Farah-Lajoie publiera un livre Ma version de l’affaire Delorme, dans lequel il explique ses arguments pour prouver la culpabilité du curé. Malgré tout, le jury le déclarera finalement non coupable.
L’époque n’était pas facile pour les policiers. Ils devaient abandonner le cheval, signe de fierté, pour l’automobile. Ils se faisaient régulièrement attaquer, battre par des bandits et surtout ils devaient vivre avec la corruption des élites politiques et les bordels où la prostitution était florissante, surtout dans le fameux quartier du Red Lignt de Montréal. La prohibition et l’interdiction généralisée de la vente d’alcool dans les lieux publics aux États-Unis amenaient un flot d’Américains fêter à Montréal et les filles de Montréal avaient une « très bonne réputation ».
Farah-Lajoie enquêta dans d’autres histoires, comme celles de la disparition du policier de 22 ans, Armand Larivière et du meurtre du marchand de fourrure Georges Jobin, entre autres. Sa réputation s’étendit au-delà de la ville de Montréal. Tous les criminels le craignaient. Il participa à toutes les grandes affaires de meurtres de l’époque. La condamnation d’un prêtre avait poussé certains mécontents à l’associer à la franc-maçonnerie, à la loge l’Émancipation. Cette association était une société secrète très mal vue par l’église. Cet amalgame aida l’Église catholique à discréditer Farah-Lajoie, pour faciliter son renvoi de la Sûreté de Montréal. La franc-maçonnerie prônait la séparation de l’État et de l’Église, l’instruction obligatoire et gratuite, la mise sur pied de bibliothèques publiques, la prise en main de tous les secteurs clés par l’État, etc., et ce, 40 ans avant la Révolution tranquille.
Il se présenta aux élections municipales à titre de conseiller. Il voulait réorganiser le service de police. Ses patrons n’apprécièrent pas. Il sera congédié en 1927. La ville de Montréal, son employeur, refusera de lui payer une pension pour ses vingt-deux années de loyaux services. Il dut continuer à travailler comme détective privé. Lorsqu’il mourut à 65 ans, il eut droit à ce que nous appellerions de nos jours, des funérailles nationales. Sa valeur fut reconnue par tous ses concitoyens. Pour plusieurs, il était un personnage hors norme, un policier d’exception, un brave. Pour d’autres, il était même un héros. Il représente bien l’immigrant idéal, qui apporte quelque chose à sa société d’accueil.
La biographie de Georges Farah-Lajoie est écrite par l’historien Alain Messier, qui habite Saint-Sauveur. Le texte est clair et agréable à lire et nous en apprend beaucoup sur les mœurs de la ville de Montréal de l’époque. L’auteur a été approché pour que son livre soit le sujet d’un film. Il a publié aussi trois Dictionnaires encyclopédiques et historiques : des patriotes, des coureurs des bois et de la police politique du Bas-Canada 1838-1840. Monsieur Messier a été conseiller éditorial pour la publication du journal de lady Durham et Jane Ellice, Dans le sillage des Patriotes, par Denis Vaugeois chez Septentrion.
MESSIER, Alain, Georges Farah-Lajoie, Le détective venu d’Orient, Guérin éditeur, 342 pages 2013, avec annexe, notes de recherche et bibliographie.