Si dans la comptine de Franquin, les Papous papas ou pas papas, ne sont pas tous papas papous dans leur agir,1 Émile Beauchamp, pas papou papa, a été, dans les années 1950, un papou pas papa entraîneur avant l’heure. Précurseur autrefois dans ce rôle, profitons de la fête des Pères pour le saluer!
Aujourd’hui, on accepte qu’un célibataire soit entraîneur auprès des jeunes et qu’il agisse, selon son style comme papa bienveillant, entraîneur papa ou papa coach. Cela aurait été sujet à scandale autrefois, car rarissime était un célibataire, homme, qui pouvait manifester de telles attitudes de bienveillance auprès des enfants. Pourtant, Émile Beauchamp a assumé ce rôle, il y a plus de 60 ans!
Athlète d’élite et entraîneur bienveillant
Émile Beauchamp 82 ans, a été et est encore aujourd’hui un athlète. Il l’est, physiquement par sa bonne forme qu’il entretient d’exercices quotidiens et de longues marches, mais aussi mentalement par le positif qu’il dégage comme une aura autour de lui. Tout jeune, il pratiquait déjà beaucoup de sports. Il excellait comme gardien de but de hockey sur les froides patinoires extérieures. La sienne, familiale, et plus tard sur les patinoires municipales qu’il entretenait comme employé. Rappelons qu’il fallait être brave autrefois, pour occuper le poste de gardien de but avec si peu d’équipement de protection!
Durant les autres saisons, et pour garder la forme, il courait de longues distances ou s’adonnait aux randonnées cyclistes. À la course, il parcourait la distance aller-retour, de chez lui, baie des Beauchamp au lac de l’Achigan, jusqu’à la jonction de la 133 à Lafontaine, un total de 116 kilomètres. Pierre Brisson alors adolescent, l’accompagnait parfois. Quelques années plus tard, ce dernier avec Émile,2 son modèle comme il le qualifie, ont mis sur pied le Club d’athlétisme de Saint-Hippolyte (août 1974) et ont créé la compétition provinciale Hippo-Courons (1980), très appréciée des coureurs de haut calibre américain par les difficultés de son parcours.
Adulte, éducateur bienveillant
Émile Beauchamp aurait aimé poursuivre des études, mais avant-dernier de famille, il est devenu « bâton de vieillesse » de sa mère veuve, en 1969. Il gagnait sa vie comme ouvrier l’été, au service des vacanciers de la baie des Beauchamp et l’hiver, à l’entretien et au gardiennage des patinoires, celles-là mêmes où il entraînait les jeunes au hockey. Dans les années 1960, les quelques patinoires municipales étaient le lieu de regroupement des jeunes, loin du giron familial. Ces derniers y flânaient et s’y amusaient autour de la patinoire et dans la cabane chauffée.
Émile les acceptait et discutait volontiers avec eux. Plusieurs lui donnaient un coup de main pour déneiger la patinoire, munis des lourds scrapers. Lui à son tour, leur délimitait un espace réservé au hockey, parallèle à celui du patinage libre. Si un jeune n’avait pas de patins ou de bâton de hockey, Émile en avait de vieux abandonnés en réserve et les leur offrait. Il était continuellement actif autour de la patinoire. Combien de fois, a-t-il initié des jeunes au patin et au hockey, ceux-ci rarement accompagnés d’un parent ? Chaussant ses patins, il organisait des matchs informels et jouait à la fois à l’entraîneur et à l’arbitre.
Notre Jean Béliveau hippolytois
Émile Beauchamp est notre Jean Béliveau hippolytois par ses attitudes de gentleman entre coéquipiers, adversaires et comme entraîneur. Béliveau, joueur de hockey professionnel, incarnait pour lui un modèle d’homme et de sportif idéal.3 Ainsi, à son exemple, Émile, alors gardien de but, encourageait ses coéquipiers à conserver leur sang-froid et à jouer un « bon hockey stratégique ». Comme entraîneur, ses jeunes joueurs l’ont entendu tant de fois répéter que : « l’agressivité et la bagarre n’étaient pas du vrai hockey! Respectez votre adversaire, soyez attentif à son jeu pour le déjouer. La bagarre, ça ne fait pas gagner! » Puis, à chaque fin de match, il tenait fermement à un échange de franches poignées de main. Cela faisait partie du code d’éthique qui manifestait pour lui le sens d’un réel esprit sportif, match perdu ou gagné. « C’est un jeu, répétait-il. La prochaine fois, vous gagnerez et vous serez contents qu’on vous félicite aussi! »
1 André Franquin, Des gaffes et des dégâts, Album Gaston Lagaffe, tome 6, édition Dupuis, 1968.
2 A Michel LeDoux, Deux géants du loisir hippolytois, Le Sentier, décembre 2015
3 A Michel LeDoux, Entrevues réalisées lors d’articles sur la famille Beauchamp, Le Sentier, de septembre 2015 à janvier 2016.
Dire MERCI à Émile Beauchamp
Aujourd’hui, Émile Beauchamp vit seul et confiné par la COVID-19 dans son petit logement jérômien. Recevoir un message de votre part lui ferait plaisir. Si vous avez le goût de partager un témoignage de votre vécu avec lui, écrivez-moi, cela sera précieux, pour lui et pour la conservation du patrimoine hippolytois. ledoux@journallesentier.ca.
Quelques dates dans les implications et réalisations marquantes d’Émile Beauchamp à Saint-Hippolyte1
1950 : Il aménage une immense patinoire près de la maison familiale et y organise des matchs amicaux avec ses amis et voisins.
1960 à 1990 : Membre et directeur du Cercle des Loisirs de Saint-Hippolyte. Il est entraîneur de clubs de hockey pour les jeunes. Responsable des inscriptions, de l’organisation des clubs de jeunes joueurs et de la supervision du déroulement des matchs. Il est présent, pratiquement à chaque match pour aider les entraîneurs. Il est également organisateur de soirées musicales d’amateurs et récréatives pour les jeunes.
1965 à 1973 : Entraînement des jeunes et participation avec eux, aux Jeux du Québec, à Chicoutimi en 1972 et Rouyn-Noranda en 1973.
1970 : Ligue de hockey des Pays d’en Haut.
1974 : Club d’athlétisme de Saint-Hippolyte.
1977 à 1979 : Participant, en positions de départ enviables, comme coureur adulte lors des Marathons de Montréal.
1979 à 1981 : Hippo-Courons à Saint-Hippolyte, course de catégorie provinciale.
1987 : Porteur du flambeau olympique lors de son passage à Saint-Hippolyte, celle-ci en route vers les Jeux olympiques d’hiver de Calgary, 1988.
2015 : Premier récipiendaire du Trophée Pierre-Brisson2 de la municipalité de Saint-Hippolyte.
1 A Michel LeDoux, Deux géants du loisir hippolytois, Le Sentier, décembre 2015
2 Trophée Pierre-Brisson, instauré en 2015 et remis annuellement pour souligner l’engagement remarquable d’un bénévole dans les sports et loisirs de Saint-Hippolyte. Pierre Brisson, directeur des loisirs de Saint-Hippolyte de 1987 à 2015, formé en éducation physique il s’est impliqué tout jeune dans les sports et loisirs.
Fin de l’encadré
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Encadré
Visages de la paternité avant la Révolution tranquille au Québec (1960) 1
Pour comprendre les contextes familiaux, religieux et sociaux vécus autrefois et dans lesquels s’inscrivaient les agirs anachroniques d’Émile Beauchamp, adulte célibataire à cette époque, jetons un regard sur les préceptes édictés dans l’éducation d’un enfant et tout particulièrement d’un garçon.
- La période de l’adolescence est alors un concept inconnu. Le passage de statut d’enfant à celui d’adulte est considéré comme un stade « honteux par les transformations physiques que vit le corps de l’enfant et qui n’est pas en maitrise de ses émotions et pulsions »;
- cette maitrise doit être acquise par des mortifications du corps et de l’esprit (on parlait d’âme, à cette époque) afin de les discipliner et d’accéder à un statut d’homme adulte et responsable en tout temps de ses pensées et gestes;
- traditionnellement, c’est au père que revenait cette formation, mais parfois un grand-père, une mère, un oncle, une tante voir, un autre membre de la fratrie, l’assumait. Loin du giron familial et selon les circonstances, un éducateur scolaire, un religieux ou un entraîneur inculquait « dureté, rigidité, inflexibilité, visant à briser la volonté et la sentimentalité ».
Les récits de vie des Louis Cyr, Maurice Richard, des frères Hilton et autres dans le monde sportif en décrivent sous différents aspects et parfois abus. Ils montrent que rigidité, conformisme et discipline se vivaient dans une rudesse et une violence supposément nécessaires pour qu’un ou une jeune devienne adulte.
1 Peter Gossage, Visages de la paternité au Québec, 1900-1960 https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2016-v70-n1-2-haf02868/1038289ar/
Elizabeth Whright, La paternité au Québec de 1890 à1965.
https://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk3/ftp05/mq25760.pdf
Un précurseur hippolytois : Vianney Lauzon
Lorsqu’on demande à Émile Beauchamp si quelqu’un lui a inspiré cette façon d’agir, il est bien embêté de répondre. Il a côtoyé Vianney Lauzon (1920-2002), de quelques années plus âgé que lui et aussi un célibataire impliqué à Saint-Hippolyte. Pierrette-Anne Boucher nous présente ce personnage dans un article du Sentier paru en mars 1998. Célibataire, bon vivant à la parole franche et directe, bénévole de plusieurs organismes et d’activités communautaires, promoteur et pilier du Festival des Neiges, Vianney Lauzon a été élu par acclamation : commissaire d’école, échevin, promaire et le 100e marguillier de la paroisse! « Les parents avec leurs enfants et les citoyens m’ont fait confiance! », lui confiait-il, alors.