Bloc erratique, repère de lieu. Pétroglyphes à l’ocre rouge du rocher Manitou, lac Simon. Herminettes (hachettes) Weskarinis trouvées sur le territoire laurentien (MRC de l’Assomption et d’Antoine-Labelle). Photos : Gardiens du patrimoine archéologique des Laurentides
«Il y a plus de roches qui poussent dans mon jardin que de patates! », racontait Alphonsine (dite Phonsine) Gohier (1867-1951), en 1939. Pourtant, lorsque l’on zoome sur l’histoire de cette région, depuis des milliers d’années, les roches, loin d’être des obstacles, ont contribué plus d’une fois, à la survivance de ceux qui ont occupé le territoire hippolytois.
Pour les premiers occupants autochtones, les pierres comme les immenses blocs erratiques déposés par les glaciers étaient abris temporaires et guides géographiques. Pour les explorateurs européens, coureurs des bois, arpenteurs et colonisateurs, ils étaient repères et parfois, frontières de leur terre. Pour les agriculteurs d’hier devenus entrepreneurs, ces roches les ont incités à devenir constructeurs de routes, de chalets, de foyers, de murets et d’aménagements paysagers. Donc, depuis longtemps, les roches par l’action de ses occupants ont marqué nos passages sur ce territoire.
Des roches de survie
Les archéologues qui ont étudié la région des Laurentides s’entendent pour affirmer que ce territoire a été le passage des bandes nomades algonquiennes, les Weskarinis (peuple du cerf) dans leur migration annuelle nord-sud. Les cartes de Champlain et les missions des Sulpiciens les situent au nord de la vallée du Saint-Laurent et de l’Outaouais. Les arpenteurs Émery Féré (cantons Abercrombie, Kilkenny et Wexford, 1836) et Joseph Hermyle Leclair (comté de Terrebonne, 1886) ont noté leurs présences dans leurs relevés cadastraux des terres. Les recherches effectuées dans les MRC de l’Assomption, au sud de notre territoire et celle d’Antoine-Labelle, au nord, ont mis à jour la présence d’artéfacts datés de 8 000 ans de ce peuple. Saint-Hippolyte (MRC Rivière-du-Nord) se situe entre ces deux regroupements. Nos lacs et nos rivières, voies naturelles nord et sud entre ces pôles, ont assurément été le lieu de passage saisonnier de ces bandes.* Se peut-il que depuis plus de 150 ans, personne n’ait trouvé de traces de leur présence sous nos pieds ?
Des roches qui poussent
Ma mère, Marie-Ange Sigouin, du rang 8, nous racontait qu’enfant, en 1921, il y avait assez de roches entre l’étable de son oncle Jos où elle habitait depuis l’âge de cinq ans et le « pacage à vaches », derrière la grange, qu’elle pouvait sauter d’une roche à l’autre pour aller les chercher. « Les roches poussaient d’année en année, lançait-elle en riant! » Et chaque printemps venu, son oncle et son père Henri s’affairaient ensemble à ramasser et à tasser ces roches nouvellement apparues qui surgissaient du sol par l’action de la gelée. Ils en faisaient des amas le long des « clôtures d’embarras ». Aujourd’hui, ces amas rocheux, recouverts de mousses et de fougères et enfouis dans la flore envahissante, témoignent des efforts déployés par nos ancêtres à vouloir « s’arracher à la vie », malgré tout.
Des roches qui érigent
Mais avec le temps, tous ces efforts d’aménagement ont pourtant porté fruit. Ce ne fut pas long que les Hippolytois, entrepreneurs ingénieux, aient su tirer parti de ces amas rocheux pour en faire, soit de solides solages de maisons, de chalets et de bâtiments, aux cheminées hautes, droites avec un « bon tirant ». D’aucuns se sont spécialisés dans des puits « pierrés », profonds aux jolies margelles de pierres des champs. D’autres ont érigé des murets au bord des lacs et des quais de bateau, lorsque cela était permis. Des maçons avaient leur signature à la façon de choisir et de tailler les pierres, d’autres de créer des motifs, des couleurs et des formes de jointements. Se rappeler tout cela c’est se rappeler le passage de nos ancêtres qui ont créé, pour nous, une municipalité, « belle et naturelle ».
*Les réseaux hydrographiques de nos lacs de tête, nombreux sur notre territoire et principalement ceux de l’Achigan et de Connelly avec sa rivière Abercrombie, constituent un axe nord-sud de passage migratoire naturel entre la rivière L’Assomption (Outaragasipi) et le fleuve Saint-Laurent.