En pays de brulés 1, la potasse nourrit!

Éli Lachance fabricant de la potasse vers 1930. Remarquez que l’un des enfants est pieds nus.

« On ne doit rien perdre, lançait Marie Lachance, du rang 2 (chemin du lac Bleu) qui a géré longtemps, après la mort de sa mère Félixine (Paquette) Lachance, la maisonnée de son père Élie. »

 

Habile de ses mains, vaillante et aussi forte qu’un homme, elle savait faire reluire les murs et les planchers de cette maison ancestrale, ja­mais peinte, avec sa lessie 2 du pays. « Ça pue lorsqu’on la fabrique, disait-elle en riant, mais y’a rien de pareil pour faire tout reluire, même sa propre personne ! » On fabriquait ce savon de pays, surtout à l’automne, après la bou­cherie. Dans le grand chaudron noir de fonte qui servait à bouillir l’eau d’érable, on récoltait le gras des animaux tués qu’on mélangeait à la cendre refroidie et ramassée, des brûlés du printemps.

 

Faire des brûlés

Que de bâtiments de fermes et de feux de forêt se sont déclarés à cause de brûlés trop près des maisons ! Méthode ancestrale pour déboiser, nettoyer et enrichir le sol, autrefois il était fréquent, au printemps, de mettre le feu aux herbes longues séchées autour des mai­sons pour faire propre, comme on disait et nourrir le sol. Cette méthode est encore pra­tiquée aujourd’hui dans la forêt amazonienne pour livrer le sol à la culture. Comme les reve­nus étaient maigres, lorsqu’on arrivait sur son lot, on profitait de tout pour enrichir le sol neuf et ramasser quelques sous. L’environnement se couvrait d’un immense nuage de fumée qui l’envahissait durant plusieurs semaines. Des membres des familles, transformés en cen­drillons étaient chargés jour et nuit de veiller et d’alimenter la flamme.

Alexandre Lachance, fils d’Élie devant l’armoire ancestrale, murs et plafond blanchis à la lessie, maison.

Cendre, richesse des pauvres

On récoltait la cendre précieuse dans d’immenses barils de bois qu’on allait vendre chez le marchand général. Celui-ci la revendait aux nombreuses potasseries de l’époque qui la transformaient en produit chimique pour des industries de transformation. Les sels alcalins contenus dans les cendres et connus sous les termes de potasse ou de perlasse étaient utilisés dans la maison sous différents usages et aussi comme engrais dans les sols calcaires et sablonneux. Ils y accroissaient le rendement des cultures, leur résistance aux maladies et en conservaient l’eau.

Benjamin Gohier, marchand général au village, en achetait beaucoup, racontaient Jos et son frère Henri Sigouin ainsi que leurs cousins, les Lachance. Il le revendait aux entreprises naissantes de Saint-Jérôme et à celles de Montréal. Cela servait pour le blanchissage du coton et des lainages, pour le chamoisage ou tannage des peaux de fourrure, pour la fabrication de savon et d’agent de bleuissement commerciaux, pour la fabrication de verre et d’engrais.3

 

Commerce rentable encore aujourd’hui

Produit apprécié sous le Régime britannique (1760-1850), ce commerce a connu un grand essor avec l’arrivée des Loyalistes entre 1783 et 1791 et l’ouverture des cantons à partir de 1796. Ces migrants entreprennent d’y exploiter les forêts afin d’en expédier le bois d’œuvre vers la Grande-Bretagne. On évalue à cette époque que le chiffre d’affaires annuel de cette industrie est, en moyenne de 300 000 $ 4 (argent actuel) ce qui représentait en valeur de l’époque, un revenu très apprécié. Le Canada produit encore aujourd’hui, plus de 20 millions de tonnes de potasse.

 

Savon de toilette maison

On fabriquait de grosses barres de savon maison formées dans les moules de bois des pains de sucre de pays. Avec ce savon on frottait le linge souillé sur une « planche à laver » ou on y laissait tremper et blanchir le linge plus délicat. Idéal pour le lavage des planchers et des murs intérieurs des maisons, il enlevait la suie collante du poêle à bois et redonnait l’éclat brillant du grain des planches au contact des sels alcalins brillants. 2 Pour la toilette personnelle, les femmes appréciaient l’ajout d’essence de rose ou de plantes aromatiques des champs.

 

1 brûlés (Faire des) fém. : québécisme désignant des amas de bois et de branches que les défricheurs brûlent après la coupe des arbres. Des charbons restants, on en tire les minéraux : potasse et perlasse, utiles comme engrais et vendus. Au Québec, cette expression a été popularisée par Hervé Biron, dans son roman Nuages sur les brûlés, Montréal, Les Éditions Fernand Pilon, 1948. 207 p.

2 lessie : Les planchers et les murs de la mai­son d’Élie Lachance, chemin du lac Bleu, ont toujours été nettoyés durant plus de 100 ans avec de la lessie, par Félixine, conjointe d’Élie et Marie et Berthe Lachance, ses filles. 3 Ce produit est encore en usage dans certains pays ainsi que dans certaines industries chimiques.

4 Marc Vallières et Yvon Desloges, Les échanges commerciaux de la colonie laurentienne avec la Grande-Bretagne, 1760-1850. L’exemple des importations de produits textiles et métallurgiques.

https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2008-v61-n3-4-haf2375/019126ar