Kapuscinski (1932-2007) est un journaliste polonais qui a vécu en Afrique pendant une période importante, de 1956 à 1970, celle du rejet des colonialismes et de la création des pays actuels. Ça commence au Ghana. Il voyage dans plusieurs pays. Son récit de l’histoire des massacres répétitifs au Rwanda est très instructif. L’auteur explique les guerres génocidaires de 1959, 1963, 1972, 1980 et 1994. Il nous fait comprendre l’aspect artificiel et non naturel des famines d’Éthiopie en 1975. Il raconte la belle histoire – trop peu connue – de la création d’un nouveau pays, le Libéria, en 1845, par des religieux américains, pour permettre aux Noirs de retourner librement en Afrique. Cette expérience d’ingénierie sociale démontre la justesse de la théorie de la nature humaine en démontrant son universalité. « Il a été le témoin privilégié de 27 révolutions et coups d’État et condamné à mort quatre fois. » (La Presse). Ses livres ont été traduits dans plus de trente langues. « Son nom a été plusieurs fois cité pour le Prix Nobel de littérature. » (Le Devoir)
En tant que Polonais, comme les Canadiens, il est bien accueilli, n’étant pas un colonisateur français, anglais, espagnol ou portugais, ni un impérialiste américain ou russe. Il donne de nombreux exemples de l’attitude des Africains face à la rationalité. Il explique l’influence des magies noires et blanches, des sorts jetés par les sorciers et de la manière de s’en sortir et décrit la présence toujours actuelle du mystérieux, du surnaturel, des eaux sacrées, des animaux maléfiques, des talismans.
Il nous explique la vision du monde de ceux qu’il rencontre, leurs dieux, le pouvoir des morts, que l’on enterre sur le terrain près de sa maison, parce que la discussion avec eux continue même après leur disparition. Il nous parle aussi du temps, de la culture, de la nature et du nomadisme.
Il présente la conception de l’homme africain qu’il a observé. L’individualisme, la liberté, l’identité sont presque inexistants, le clan et la tribu prennent toute la place. Ils sont plus importants que la nation créée par les colonisateurs. On ne dort jamais seul, il « faut partir pour le pays des rêves ensemble ». Les relations humaines constituent le fondement de la vie.
Cette conception de l’homme, où la tribu domine, influence leur moral. L’acceptation des règles universelles est difficile dans ce contexte. Les ancêtres jouent un rôle très important. La tribu définit ce qui est bien et ce qui est mal. Toutes ces caractéristiques traditionnelles rendent difficile l’appartenance à une nation. N’oublions pas que l’espèce humaine est apparue en Afrique et qu’ils vivent ainsi depuis des millions d’années, avec leur système de chefs, « qui a fait ses preuves » comme me l’a déjà expliqué un Africain lors d’un voyage dans la jungle du Cameroun..
Un autre aspect important que l’on découvre dans ce livre est l’explication des causes qui ont mené à la vague d’indépendance en Afrique. Les Sénégalais par exemple, avaient été invités par la France à l’aider à combattre les Allemands pendant les deux guerres mondiales. C’était la première fois que des Noirs sortaient « librement » d’Afrique. Après avoir combattu en Europe, ils décidèrent de continuer à le faire pour créer leurs nouvelles nations.
L’auteur explique son voyage en insistant sur l’histoire, la politique, l’économie, les mentalités, la philosophie et la sociologie des personnes rencontrées. Il n’aborde pas ces pays par le biais d’une approche psychologisante qui insiste sur les émotions. Pour les lecteurs curieux, qui aiment apprendre, c’est un livre qui fait mouiller du cerveau. Lors de son décès en 2007, tant The Economist que Le Monde le présentèrent dans leurs pages, comme « le prince des journalistes », rien de moins. Autant mes étudiants du Cégep de Saint-Jérôme dans mon cours de Philosophie éthique, qui devaient lire ce livre pendant la semaine de relâche, que tous ceux qui m’ont parlé de ce livre, n’ont émis un commentaire négatif.