« Les touristes, c’est le pain du Bon Dieu, sans eux, nous mourrions de misère! », racontait en 1938 Phonsine Gohier, 80 ans, à une jeune étudiante qui l’interrogeait pour un travail d’école. Les migrants saisonniers ou touristes ont transformé le mode rural de vie que connaissaient les Hippolytois.
Même si ces migrants temporaires ne séjournaient que quelques semaines par année, cela a suffi pour transformer la vocation de ce territoire en faisant naître une économie de services qui a transformé les agriculteurs, en entrepreneurs. Dès les années 1920, après la Première Guerre mondiale et avant le Krach économique de 1929, de plus en plus de familles montréalaises cédaient à l’attrait de s’installer, pour quelques semaines, dans un « camp » rustique, construit autour d’un point d’eau. C’est alors que beaucoup de propriétaires terriens près d’un lac construisirent de petits « camps rustiques » et les offraient en location.
Vie rustique d’autrefois
Sans électricité ni eau courante, les villégiateurs, souvent enfants d’agriculteurs devenant migrants de ville pour y travailler, y retrouvaient la vie sans commodité qu’ils avaient connue auparavant. La plupart voyageaient par le train et se faisaient transporter en camion ou voiture jusqu’au chalet. D’autres, comme la famille Laroche du lac des Quatorze-Îles, déménageaient chaque été, en camion, tout leur mobilier de ville, n’ayant pas les moyens de s’en procurer pour le chalet. On se tassait à plusieurs dans un lit, on couchait sur les balcons grillagés ou dans les greniers où on s’y glissait à quatre pattes, sans se préoccuper du danger, en cas d’incendie. Peu importe le confort, on « jouait » aux pionniers!
Lait et bois de chauffage
Sans voiture pour se déplacer vers des lieux d’approvisionnement, les villégiateurs recouraient aux agriculteurs qui se convertissaient en commerçants. Plusieurs chalets n’étant équipés que d’une vieille glacière, récupérée de la ville, d’un poêle à bois et de lampes au pétrole, leurs villégiateurs faisaient appel aux agriculteurs pour se procurer chaque semaine le nécessaire : lait frais, beurre, pain ou autres produits de la ferme. Régulièrement, les agriculteurs circulaient en charrette munie de gros blocs de glace pour « alimenter » les glacières. D’autres fois, à la demande des villégiateurs, les mêmes charrettes transportaient du bois de chauffage pour cuisiner les repas et « couper l’humidité » des chalets, à proximité des points d’eau.
Magie de la glace, en été
Que de magie a suscité chez les jeunes Montréalais vivant l’expérience de la vie à la campagne que l’apparition, lors d’une journée chaude de juillet, de ces énormes blocs de glace translucides camouflés sous d’épaisses toiles. Et, que dire de l’habileté des fils de fermier à les coincer avec leurs énormes pinces avec lesquelles ils les transportaient pour les déposer dans le compartiment du haut de la glacière! Ces derniers, généreux, offraient volontiers aux enfants un morceau pour les rafraîchir qu’ils cassaient d’un coup vif de hache. Pourtant, pour lui, rien en cela n’était mystérieux. Interrogé, il aurait raconté comment les membres de sa famille participaient chaque hiver à ces expéditions difficiles et dangereuses où, profitant des grands froids et de la glace devenue très épaisse, se seraient livrés à cette nécessité durant les saisons chaudes. C’était en général, les hommes adultes et agiles qui se chargeaient de cela.
Témoignage dans le Montréal-Matin
Voici, comment Gilles Richer confiait ce récit, le 26 janvier 1961, à un journaliste du Montréal-Matin : « Après avoir gratté la neige à la surface, j’avais fabriqué une scie ronde installée sur un support à roulette et nous commencions par faire de grands traits de douze pouces de profond sur la glace. Puis, avec une grande scie dentelée pour la glace, nous finissions de couper les blocs de deux pieds sur deux pieds et qui descendaient parfois jusqu’à deux pieds et demi de profondeur. Puis, avec un pic, nous soulevions un premier bloc. C’était le moment le plus difficile, car nous les dégagions en donnant un élan qui nous déséquilibrait et qui aurait pu nous entraîner vers l’eau par le contrepoids de ce bloc pesant, nos pieds glissant sur la surface du lac. Une fois remontés suffisamment, nous tirions de toutes nos forces pour embarquer ces immenses blocs lourds, complètement sur la glace. Notre attelage de deux chevaux en traînait beaucoup à la fois jusqu’à la grange où deux hommes les soulevaient et les empilaient entre d’épaisses couches de bran de scie pour les conserver jusqu’à l’été. Durant l’été, mon père partait avec ces blocs sous d’épaisses toiles pour les protéger et en vendait des morceaux pour alimenter les glacières ». Et dire que ces blocs, après tant d’efforts et de soin, ne se vendaient que 5 ¢ à 10 ¢, selon la grosseur! »
Sans en être conscients, les nouveaux villageois ont transformé l’économie du territoire hippolytois et lui ont donné une nouvelle vocation de villégiature. Possédant les premiers points d’eau importants au nord de Montréal, durant pratiquement un demi-siècle, les migrants villégiateurs de par leurs demandes et exigences forceront les Hippolytois à apprendre et à s’orienter vers des métiers de services.