Roch Carrier est un écrivain prolifique né en 1937 et, à travers un grand personnage, Maurice Richard (1921-2000), il nous raconte une tranche de
notre belle histoire nationale. C’est une lecture captivante qui nous fait découvrir celui qui, aujourd’hui, est toujours considéré comme « la personnalité sportive la plus importante du Québec ». Joseph Henri Maurice qu’on surnomme Le Rocket exprime notre volonté de ne pas toujours perdre, mais un jour de gagner. Quand Maurice compte 45 buts, c’est un record de tous les temps. Au journaliste de la radio, il se contente de dire : « Ce record est tout à l’honneur des Canadiens français… ».
la fierté portée par Maurice
Quand Maurice Richard compte son premier but dans la Ligue nationale, la foule reconnaît le messie espéré. Elle hurle de plaisir. Au cours de sa carrière, lors de son 134e match, il a marqué son 100e but. Chaque match, il accomplit quelques prodigieuses manoeuvres qui donnent à ses partisans la sensation d’être plus forts. Ils se sentent alors tous champions. Un but du Rocket, c’est plus que du théâtre : c’est de la politique. Est-ce la terreur de cette responsabilité qui épouvante son regard ? Riche ou pauvre, notre nom est Maurice Richard. Nous sommes forts, rapides et braves. La patinoire est le seul endroit où il éprouve le sentiment d’une belle liberté… où il est lui même entièrement, le Rocket, un Canadien français. Quand le Rocket traverse les défenseurs, les partisans voient un guerrier légendaire qui refait la bataille des plaines d’Abraham et
reconquiert le territoire perdu Un jour les Maple Leafs lui font une offre alléchante. Acceptera-t-il d’aller jouer dans une ville anglaise ? Pourrait-il revenir jouer contre le Canadien, son équipe ? À une autre occasion, Maurice est honoré au Forum où il prononce un discours. Par cet élan oratoire, Maurice Richard est l’Homère de la province de Québec. Les poèmes que ses patins improvisent sur la glace expriment les passions… Les treize mille spectateurs se dressent. les canadien français
Les partisans réclament des buts.
Maurice s’aperçoit qu’ils lui donnent la responsabilité de représenter sur la patinoire les Canadiens français. On ne veut pas toujours perdre. En 1955, Maurice frappe un juge d ligne. Les dirigeants anglophones le suspendent pour le reste de la saison et les séries éliminatoires. La foule exaspérée soutient le Canadien français. C’est « l’émeute du Forum ».
Notre peuple a souffert
Les Canadiens français ont besoin de ce héros franc, direct, simple, prompt à corriger une injustice, ce héros qui ne cache rien, qui joue franc-jeu, qui ne ment pas, ce héros qui ne leur demande rien, qui ne leur prend rien et qui se donne à son jeu comme un feu se consume pour donner de la chaleur et de la lumière. Ils ont besoin de ce héros intègre quand leurs chefs politiques et religieux les déçoivent. Après notre soumission au passé, dans notre présent animé du maigre souffle de nos politiciens, devant l’incertitude de l’avenir, le coeur de Maurice Richard est une motte de cette pierre en fusion qui est au centre de la Terre : le feu de la vie originelle et sauvage.
la pauvreté
Plusieurs familles vivent sous le seuil de la pauvreté et demeurent dans des logements exigus, souvent sans eau chaude et sans toilettes. Beaucoup de garçons n’ont pas de souliers; mais l’hiver tout le monde a des patins. En 1931, les Canadiens ont gagné la coupe Stanley. Maurice a marqué sept buts durant les séries éliminatoires. Pourtant il se sent comme un pêcheur de la Gaspésie qui revient à l’heure du souper sans avoir pris assez de poisson pour nourrir sa famille. Aurait-il perdu confiance en lui ? Ces questions le tenaillent.
la sagesse des peuples
Les partisans qui regardent un rude match de hockey souhaitent un monde moins compliqué, où l’individu compterait, où il ne serait pas piégé dans un filet inextricable, où il pourrait quelquefois avoir raison. Ces mêlées seraient- elles des reliquats de nos anciennes guerres tribales ? Les peuples inventent les dieux et les rites dont ils ont besoin. Le hockey se rattache à la longue tradition des jeux fondamentaux que l’humanité s’est inventée, en temps de paix, pour mimer la guerre et peut être l’éviter. Depuis que le Rocket règne sur les patinoires, on se tient solide dans l’histoire comme lui sur la glace. Les partisans sont d’accord sur un point : le Rocket ne se laisse intimider par personne, ni plus gros ou plus fort que lui. Le temps des Canadiens français dociles vit une étape marquante.
Roch Carrier, la dernière phrase de son livre
Le 27 mai 2000, Maurice s’en va. « Nous avons été, nous serons de meilleurs hommes parce que le Rocket a traversé notre enfance. »
CARRIER, Roch, Le Rocket, Stanké, biographie,
collection 10/10, 2009, 427 pages.