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Une Histoire si proche! Quand électricité inspire peur et dépense inutile

Village et rangs hippolitois, années 1930-1940

Quand électricité inspire peur et dépense inutile

 

C’est amusant de penser qu’il n’y a pas si longtemps au Québec, on accordait de drôles de pouvoir à une petite ampoule jaunâtre grésillant suspendue au plafond de nos maisons.

 

Que de messages suggestifs nos ancêtres ont interprété du vacillement de ces ampoules et du léger crépitement entendu, dûs à la variation du voltage! Mauvais temps, mauvaise nouvelle, visite inattendue, voire chez certains, message de l’au-delà. On craignait autant cette invention qu’on voyait en elle les multiples facilités et bienfaits qu’elle procurait.

 

Le « feu qui saute »

Je me rappelle enfant, avoir vu ma grand-tante Emma Lachance-Sigouin s’affoler au moindre grondement d’un orage. Courant çà et là dans la maison à fermer portes et fenêtres, elle abaissait avec grande précaution le bras de l’interrupteur de la boîte à fusible qui alimentait l’électricité de la maison. Chapelet en main, le cœur serré, elle observait les isolateurs en porcelaine brune placés au faîte du poteau : un fil par maison desservie déposé simplement sur chacun son isolateur. À chaque grondement de la foudre qui lui faisait échapper un petit cri, elle surveillait l’éclair qui aurait pu jaillir d’un des fils non isolés et où, pensait-elle, le courant continuait à circuler, les usagers n’ayant pas interrompu le service. À son dire, le feu de l’éclair « sauterait » sur le toit de la maison et y provoquerait un incendie.

 

L’arrivée de l’électricité sur le territoire hippolytois relève selon des récits recueillis d’une épopée ou ce modernisme faisait naître peurs et suspicion tant les récits qui entourent son installation de maison à maison et les peurs qu’elle suscitait sont riches d’histoires. Que de chemins parcourus mentalement, administrativement et physiquement avec ce service que l’on déclare aujourd’hui essentiel! Pourtant, c’était loin d’être le cas au début de son utilisation. Avant même que la petite ampoule jaunâtre clignotante suspendue au centre d’une pièce puisse être associée à de drôles de peurs et de pouvoirs, les obstacles furent nombreux pour l’installation du réseau de poteaux nécessaires, de maison à maison.

 

Luxe à fort prix

À cette époque, les gouvernements étaient loin de penser que l’électricité était un service essentiel : c’était un luxe dont certaines familles se sont privées quelque temps ou du moins, en ont usé avec ménagement. Rappelons brièvement que si, dès 1880, certaines compagnies québécoises produisent et utilisent l’électricité comme puissance motrice de travail dans leur usine et manufacture et l’offrent à quelques maisons « de compagnie », ce « trust de l’électricité » est entièrement aux mains de compagnie privée qui le vendent à fort prix aux consommateurs jusqu’en 1930.

 

De poteau en poteau

Le krach économique de 1929 et la fragilité financière de ces compagnies font en sorte que ces dernières cherchent à diversifier leurs produits et revenus à partir de leur installation. Un service d’électricité aux consommateurs se crée dans plusieurs régions. Ce fut le cas pour la Gatineau Power qui possède des barrages hydroélectriques sur la Rivière-du-Nord et qui offre ce service à la population jérômienne. Progressivement, elle l’offrira également aux régions environnantes. C’est un commerce et les nouveaux représentants de ces compagnies, tout comme les nouveaux corps de métier qui se créent : électriciens et monteurs de ligne passent de maison en maison pour offrir leurs services. Dans certaines localités, des propriétaires fonciers se regroupent et forment des coopératives qui procèdent à des soumissions collectives, abaissant ainsi les coûts. Si en ville un poteau suffit par maison, parfois pour deux, à la condition que le plus proche voisin sur la rue en ait un aussi, à la campagne c’est différent. Les distances sont grandes, les coûts plus élevés.

 

D’ampoule en ampoule

Ce service reste un luxe plus cher que le coût des lampes à l’huile ou des chandelles. Au début, la consommation est calculée selon le nombre d’ampoules installées dans chaque maison ainsi que la vente de ces dernières. Le jour, beaucoup se privent d’allumer une ampoule, préférant la clarté du jour qui entre gratuitement par les fenêtres. De plus, durant quelques années, les résidents de rangs éloignés sont privés de ce service. Des villégiateurs saisonniers se plaisent alors à vivre une vie rustique durant quelques semaines, s’éclairant à la lampe à l’huile et achetant la glace pour les glacières. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui être capable de vaquer à sa quotidienneté, à la maison comme au travail, sans l’apport de l’électricité. Il suffit qu’une panne électrique survienne pour que tout s’arrête.

1930 : Électricité dans le 6e rang jusqu’à l’Auberge Chez Pierre

Auberge Chez Pierre Crédit : Pierre G. Snyder

Gordon Omer Snyder et sa conjointe Cécile Couillard achètent en 1930, cinq lots sur le 6e rang d’Abercrombie et y érigent une Auberge. Désirant offrir à leur clientèle le luxe de la ville, Gordon Snyder assume à ses frais, l’installation de tous les poteaux électriques nécessaires de Shawbridge jusqu’à l’Auberge, en face de la 278e Avenue actuelle. Il fait ainsi profiter généreusement de ces poteaux à tous les résidents le long de ce chemin. Ce sera également le cas pour les villageois hippolytois, car à sa suite, les autres résidents du rang vers le village feront de même. Ce réseau sera le premier à se rendre au village.

 

 

Pas d’électricité à l’école du village

Marie-Laure Tessier et des élèves à l’école du village, année 1940.     Le Sentier, décembre 2001

Marie-Laure Tessier, maîtresse d’école à Saint-Hippolyte, de 1935 à 1950, a réclamé durant quelques années que l’électricité soit installée dans la deuxième école du village (1912-1957). Bien qu’un réseau de poteau soit présent au village, madame Tessier déplore l’absence de cette commodité dans ce bâtiment où étudient pourtant plus de 20 élèves dans les six divisions et où elle loge également à l’étage. Les commissaires de l’époque ne trouvent pas opportun d’assumer l’installation du poteau près du bâtiment et celui des ampoules, une dans les deux salles de classe et une autre pour le logement à l’étage. De plus, ils trouvent onéreux le coût d’utilisation d’une ampoule dans chacune des deux salles de classe, sachant que l’orientation de la fenestration du bâtiment pallie largement l’éclairage des pièces depuis sa construction. En plus d’enseigner, Marie-Laure Tessier a accompagné à l’harmonium à pédale une chorale d’enfant pour la grand-messe dominicale et durant les célébrations religieuses. Ainsi, durant les mois de classe de l’année, Cléophas Pigeon, curé de 1935 à 1942, héberge au presbytère cette institutrice dévouée à la paroisse.