Il m’est possible de m’aventurer en canot sur certains bras plus étroits du lac. On peut même passer sous le pont et se rendre à l’émissaire, là où le trop-plein d’eau alimentera un autre lac hippolytois.

 

Rare découverte

C’est à cet endroit très calme où les plantes aquatiques foisonnent et quelques troncs d’arbres tombés depuis des décennies ont depuis accueilli des plantes sur leur partie flottante. Sur cette souche verte, j’ai pu faire la découverte de onze individus d’une orchidée peu commune : la Pogonie langue-de-serpent. La famille des orchidées (les Orchidacées) comprend plus de 15 000 espèces à travers le monde. Même si plusieurs espèces sont présentes au Québec, ces plantes demeurent toujours rares, comme des apparitions dans l’ensemble végétal.

 

Une fleur odorante

La Pogonie mesure de 10 à 40 cm de hauteur. En général, la tige ne porte qu’une seule fleur. Celle-ci est très odorante et de couleur rose pâle. La fleur possède trois pétales, dont celui du centre qui porte le nom de labelle. Ce dernier pétale est beaucoup plus grand et apparent que les deux autres. Dans le cas de la Pogonie, le labelle est frangé et a un rôle attractif pour les insectes pollinisateurs. Ces derniers seront attirés par l’odeur et les couleurs et, en visitant la fleur, auront tôt fait de récolter les grains de pollen réunis ensemble dans la fleur. Les orchidées produiront des milliers de graines minuscules qui seront emportées par le vent, mais dans le cas de la Pogonie, c’est par les racines que cette plante se propagera. Sur la bûche flottante où je les ai observées, c’est de manière végétative que d’une seule plante naquirent les autres qui ont été vues. La plante possède une ou parfois deux feuilles à nervures parallèles. L’une d’entre elles se situe au milieu de la tige tandis que l’autre croît à la base de la plante.

 

Substrat de sphaigne

En regardant de près cette feuille, sans trop me pencher sur le côté du canot, j’ai bien vu dans quel substrat la plante poussait. C’était dans un tapis de mousse de sphaigne typique des tourbières, ces écosystèmes flottants qui sont le point de jonction entre lac et forêt. À quelques kilomètres de cette souche si discrète découverte dans un coin reculé du lac, se trouve une tourbière presque complètement recouverte où croissent non seulement la Pogonie langue-de-serpent, mais aussi d’autres orchidées telles que le Calopogon gracieux et la Platanthère à gorge frangée. Ces milieux rares se doivent d’être protégés.

 

Des mots de Marie-Victorin

En terminant, voici une merveilleuse description de la Pogonie langue-de-serpent telle que rédigée par le frère Marie-Victorin dans sa Flore Laurentienne : « La Pogonie partage avec l’Aréthuse ce genre de beauté particulier à nombre d’Orchidacées dont le modeste système végétatif est dominé par une seule grande fleur. La symétrie bilatérale qui rappelle le masque humain; l’attitude de la fleur, penchée comme une tête; le parfum délicat; la couleur de chair rosée : tout cet ensemble dégage un charme subtil qui semble s’évader du monde végétal. »