Carrefour scolaire de rencontres historiques(1)
L’école est construite sur le sommet entre les bassins versant des cours d’eau qui alimentent au nord, le lac Connelly et celui, au sud du lac Bleu. Elle est aussi construite à la limite des terres des familles parentes Sigouin et Lachance dont la carte de 1931, montre le déboisement de leur terre, en plus pâle.
Quel drôle de hasard de constater que la situation physique de la nouvelle école de Saint-Hippolyte est liée historiquement à des rencontres et des événements du passé. En voici quelques-uns.
Au temps des Premières Nations, les clans nomades de chasseurs-cueilleurs algonquiens, les Weskarinis (peuple du cerf), parcouraient il y a 10 000 et 8 000 ans avant notre ère, l’immense réseau hydrographique de l’Outaouais. Du sud au nord(2) entre les rivières L’Assomption (Outaragasapi (3)) et l’Outaouais, ils tiraient leurs subsistances des nombreux cours d’eau du territoire de Saint-Hippolyte. Leur présence est confirmée par la découverte d’artéfacts(4).
Carte de Samuel de Champlain5, dessin représentant des Weskarinis et reproduction d’un abri temporaire en écorce de bouleau qu’ils utilisaient.
Crédit : AMLeDoux Livre du 150e de Saint-Hippolyte
École de socialisation : sommet et bloc erratique
Leur sens d’orientation mnémotechnique(6) se développait dès leur petite enfance. Toujours à l’affût, d’un clan ennemi ou d’un animal féroce, ils longeaient le jour, ruisseaux et vallons, pour trouver plantes et animaux pour se nourrir. La présence de blocs erratiques(7) sur des sommets, dont celui où est construite la nouvelle école, était lieu de repère le jour et d’échanges et de réflexions la nuit venue. Près de la voûte étoilée, aux reflets des flammes, ancêtres, sages et guerriers enseignaient la vie aux plus jeunes. C’était leur école à cette ère préhistorique.
École actuelle construite aux limites des terres des familles Sigouin et Lachance.
Crédit : AM LeDoux
Beaucoup plus tard, à l’époque de l’installation des familles colonisatrices de ce coin hippolytois, la vie scolaire et communautaire se déroulait principalement autour de l’école du rang des Sigouin, dite école no.8, et de la croix de chemin devant la maison de Joseph Sigouin, l’ancêtre.
Connaissante(8) exigence et fermeté dans la douceur
« Pas facile d’être maîtresse d’école lorsqu’on a entre 16 et 20 ans. […] Les convenances exigeant d’être rigide en discipline et connaissante dans les matières au programme. Sa mission : instruire et insuffler une discipline. Les matières au programme étaient : prières, catéchisme, histoire sainte, orthographe, grammaire, histoire du Canada, géographie, lecture, tables, arithmétique et numération.»( 9)
Mme Paul-Émile (Annette Lanciault) Sigouin enseignante de 1940 à 1962 et Thérèse (Racine) Aubert qui a été élève de Mme Paul-Émile et enseignante de rang à son tour, à l’école du rang du lac de l’Achigan de 1952 à 1957. Lise Morin et Alphonse Sylvain qui ont été élèves de madame Sigouin.
Crédit photo : AM LeDoux
Madame Paul-Émile Sigouin (Annette Lanciault), institutrice marquante
« Madame Sigouin a été plus qu’une maîtresse d’école, se rappelle Thérèse (Racine) Aubert, devenue elle-même, institutrice de l’école du rang du lac de l’Achigan, en 1950. Elle connaissait nos familles, Sigouin, Sylvain, St-Onge, Villeneuve, Veilleux, Taillefer, Lanois et faisait preuve de patience et d’une volonté éducative, tout en intervenant dans un gant de velours. Moi-même, devenue enseignante à l’école du lac de l’Achigan, j’ai adopté ses attitudes et cela a fonctionné(10). Lise Morin et Alphonse Sylvain, conjoints depuis plus de 50 ans, se sont connus à l’école de rang des Sigouin. Madame Paul-Émile a été leur enseignante : « Ce n’était pas facile tous les jours!, précise Alphonse, moi, comme d’autres, on aimait rire et jouer des tours.
Avec madame Sigouin, tout se passait bien. […] Les leçons d’histoire et de géographie étaient très appréciées. Vraie encyclopédie, elle nous faisait voyager, à travers des connaissances si captivantes que le temps passait vite! » Nos sorties scolaires se faisaient sur la terre des Sigouin, où était construite l’école. Par beau temps, nous allions en pique-nique au sommet de la montagne. Fleurs et feuilles ramassées servaient à nos recherches. Les rochers qui dominaient le paysage étaient notre point d’arrivée. Les terres déboisées à cette époque nous permettaient de voir par beau temps, le Mont-Royal et la colline Saint-André près d’Oka.(11)
Restaurant de Marc Sigouin, dépanneur de Marie-Ange Sigouin-LeDoux, lac Connelly, Bernadette Sylvain, religieuse, membres des familles Sylvain, cantonniers, les nombreuses entreprises de Gilles St-Onge : excavation, restaurateur et hôtelier.
Crédit : AM LeDoux
École de qualification : rudiments des métiers
Dès 1875, sous Honoré Mercier, le gouvernement cherche à rendre l’école obligatoire. Il faudra attendre au Québec, 1943 avec Adélard Godbout pour maintenir les élèves à l’école jusqu’à 14 ans. Alors, les matières scolaires changent. « La maîtresse […] enseignait autant les matières académiques que les rudiments d’artisanat et de certains métiers. Tricot, couture et cuisine pour les filles et techniques agricoles, art de soigner les animaux de la ferme et utilisation des instruments et des calculs pour la charpente, la menuiserie et autres métiers de la construction pour les garçons. »
« Je me rappelle encore par cœur une recette de boulette de viande hachée apprise à l’école que j’ai refaite tant de fois après », dit Suzanne Lauzon-Thibault. Et André Thibault, son mari, d’ajouter « c’est toujours aussi bon!»(12)
André, Suzanne Patrick, Céline et en avant Éric. Quincaillerie Thibault, village de Saint-Hippolyte, 1975
Crédit : Suzanne et André Thibault
Ainsi, parmi les élèves qui ont fréquenté les écoles du rang, on les retrouve adultes, menuisiers et ébénistes comme des membres des familles Lachance, Sigouin et Sylvain; entrepreneurs en excavation comme ceux de la famille St-Onge et Lachance; cantonniers et ouvriers très habiles comme les membres des familles Sylvain, Villeneuve et autres; commerçants et livreurs de produits laitiers (Lanois), et d’autres qui ont travaillé dans des métiers de services aux touristes (Morin, Lachance, Sylvain) et qui ont appris l’anglais.
Fréquentations
Marie-Ange (Sigouin) LeDoux, fille adoptive d’Emma et Jos Sigouin racontait l’anecdote suivante à propos de la fréquentation de ses parents ainsi que de son oncle et tante adoptifs.
« Mon père, Henri Sigouin et ma mère, Marie-Louise Lachance, bien que cousins germains,(13) se sont fréquentés et mariés en 1908. Joseph Sigouin frère aîné d’Henri avait fait de même avec Emma Lachance, sœur de Marie-Louise, en 1906. Durant les années de leurs fréquentations, principalement en mai, mois de Marie et du chapelet quotidien devant la croix de chemin(14) des Sigouin, Jos et Henri se rendaient à pied, par galanterie, à la rencontre de leur promise. Ils traversaient les lots familiaux(15) déboisés et mitoyens sur le site actuel de la nouvelle école. Essoufflés en gravissant ce sommet, l’immense rocher(16) situé en haut était leur point d’arrêt. À l’aller comme au retour, ces fiers galants, brûlot(17) en bouche pour chasser les moustiques printaniers, échangeaient amoureusement un peu à l’écart avec leur galante, chaque couple chaperonnant l’autre(18) comme cela se devait faire, à cette époque. À la brunante venue, ils ne manquaient pas de leur causer quelques frayeurs, lançant subrepticement roches et branches sur leur chemin, forçant leurs belles à se rapprocher. »
Malheureusement, les décideurs du livre du 150e ont décidé d’exclure plusieurs des anecdotes suivantes de l’édition à venir de juin.
2 Bassin du petit et du grand lac Nominingue.
3 Outaragasapi : désignation autochtone de la rivière L’Assomption. Ce mot signifie la « sinueuse ».
4 Artéfacts trouvés par Antoine Michel LeDoux et authentifiés par la Firme Ethnoscope.
5 Samuel de Champlain, en 1613, cartes dressées lors de ses expéditions d’exploration vers l’Outaouais actuel, à la recherche d’un passage vers la Chine.
6 Faisant appel à la mémoire.
7 Bloc erratique déposé par le recul lors de la fonte des glaciers, époque géologique du quaternaire.
8 Expression populaire qui qualifie l’importance de connaissances chez une personne.
9 A Michel LeDOUX, Les écoles de rang de Saint-Hippolyte, 1871-1962, Le Sentier, mars, avril, mai, juin et juillet 2018.
10 Ibid no.8. Thérèse Racine a été pensionnaire au couvent de Saint-Lin où elle a fait sa 8e et 9e année, en 1947 et 1948 et a obtenu un Diplôme des Études supérieures et pensionnaire durant trois ans à celui de Longueuil où elle a obtenu un Brevet supérieur en 1951qui lui permettait d’enseigner aussi au secondaire.
11 Ibid, no.9.
12 Texte présenté dans le manuscrit de 300 pages pour l’édition du livre du 150e de Saint-Hippolyte.
13 Philomène Desjardins était mariée à Joseph Sigouin et sa sœur Marie, dite Mary à Joseph Lachance.
14 À cette époque, les habitants des rangs lointains de l’église paroissiale se réunissaient autour d’une croix de chemin, ici celle des Sigouin, autrefois située près des terrains de tennis et des boites postales actuels, chemin du lac Connelly, pour cette récitation communautaire.
15 Lieu probable de l’école actuelle. En juin, ils venaient y cueillir des fraises des champs et en juillet des framboises sauvages.
16 Ibid, no.9.
17 Brûlot : terme familier qui désigne une pipe à tabac.
18 Expression familière qui désignait autrefois la surveillance qu’exerçaient les parents ou un membre de la famille, des agissements d’un couple, selon les convenances, avant le mariage.