Je veux devenir vétérinaire des araignées!

Jérémy huit ans entre dans mon bureau, visiblement inquiet. D’entrée de jeu, ses parents insistent pour qu’il me dise tout.

  • « Je veux des trucs. Tout le monde dit que je suis fou… Tout le monde se moque de moi. Tout le monde rit de moi ».
  • Les adultes autour de toi disent que tu es fou ? Tes parents aussi ?
  • « Pas vraiment… mais ils me disent d’arrêter de dire des niaiseries. »
  • Toi, trouves-tu que tu dis des niaiseries ? Que tu es fou ?
  • « Non… parce que je suis capable de le faire ».
  • Capable de faire quoi, Jérémy ?
  • « Devenir vétérinaire… »
  • Ça n’a pas trop l’air d’une niaiserie ça!

Les parents de Jérémy sourcillent et insistent pour qu’il continue. Long silence… Difficile pour Jérémy de me regarder… de parler. Péniblement, il finit par me dire : « Je veux devenir vétérinaire des araignées ».

Silence. Les parents ont vraiment l’air désemparés. Leurs yeux semblent me demander : qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire avec ça ?

  • Jérémy… Je vais te dire ce que je vois de toi et de ton désir de devenir vétérinaire des araignées… Tu as sûrement une bonne raison de vouloir prendre soin de leurs petites pattes fragiles. Je vois bien que tu as un grand cœur et que tu veux porter secours à des petits êtres rejetés et mal-aimés. Est-ce que cela a du sens pour toi ?

Jérémy fait signe que oui.

  • Tu sais Jérémy, moi, quand un enfant comme toi me dit qu’il veut soigner les araignées, je ne le trouve pas « fou » du tout. Non, vraiment pas. Je sais que ce petit garçon est en train de me dire qu’il connaît bien la souffrance de ceux qui se font haïr et rejeter. Comme toi, les araignées à force de se faire rejeter doivent se sentir bien seules et souffrantes de ne pas avoir d’amis. Personne pour les comprendre.

Jérémy éclate en sanglots… longs sanglots. Long silence…

  • « Mais moi je suis fou parce que je le répète depuis la maternelle et que je ne veux pas arrêter de le dire. Mon ami Jonathan dit aussi que je suis fou. Personne ne veut jouer avec moi. Et quand Jonathan veut jouer avec moi, tout le monde se moque de lui. Y’a pas de solutions parce que, moi, je veux vraiment devenir vétérinaire des araignées! Mes parents aussi pensent que je suis fou. Ils me disent d’arrêter de dire ça. Ils veulent que je choisisse d’autres animaux à soigner ».
  • Et toi tu résistes très fort et très haut. Tu aurais le sentiment d’abandonner les araignées. Vrai ? Qu’elles seraient toutes seules avec leur problème ? Qu’elles pourraient mourir si personne ne les aime ? Je pense Jérémy, qu’en ce moment et depuis longtemps, comme les araignées, tu es un petit garçon très souffrant. Tout seul à ne pas trop savoir pourquoi tu es incapable de faire taire ton désir d’aider ceux qui souffrent. Les adultes autour de toi semblent ne pas avoir compris non plus. Tu sais, ces choses-là sont invisibles pour beaucoup d’entre nous.

Tu ressembles à Saint-Exupéry, l’auteur du Petit Prince. Tu as une belle sensibilité. Tu as sûrement aussi une grande souffrance au fond du cœur qui te fait vouloir prendre soin de la douleur des autres. À partir d’aujourd’hui, tu n’es plus seul. Tes parents et moi, on sait maintenant que tu as besoin d’être compris ; que ton cœur, comme celui des araignées, a besoin d’être soigné… Et peut-être que tu as quelques « petites pattes » à soigner aussi. 😉

Jérémy pleure et rit en même temps. Jérémy, ses parents et moi venons de découvrir que la détresse qu’il attribue aux araignées est en réalité la sienne. Une grande souffrance qui dure depuis la maternelle. À partir de ce jour, le regard et le discours autour de lui ont changé. Ensemble, avec les adultes de son école, nous avons compris et outillé Jérémy… avec des trucs, comme il dit. Outiller à se comprendre, à se dire, à agir avec des mots que les autres peuvent comprendre et accueillir. Ensemble, nous avons tous appris qu’au-delà des mots qui ont l’air insensés, il y a toujours beaucoup à comprendre et à guérir.

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