Le dimanche 1er juillet 1855, le curé de la mission de la chapelle de Lafontaine 1, informe à la fin de son prêche dominical, les nouvelles qui concernent ses ouailles, privés d’informations et presque tous illettrés.
Certaines nouvelles suscitent rapidement un grand émoi puisqu’elles concernent la création des nouvelles municipalités des paroisses de Saint-Jérôme-de-la-Rivière-du-Nord et d’Abercrombie, partie est (futur Saint-Hippolyte). Ces territoires ont progressivement vu accroître leur population par une forte migration de familles venant des seigneuries du sud, surpeuplées ou de Montréal, ville à l’air insalubre, et sans commodité hygiénique où les crises financières fréquentes entraînent un grand chômage. La pauvreté des familles les oblige à une promiscuité dans des logements surpeuplés où règnent maladies et une forte mortalité infantile. 2
Accès pénible aux offices religieux
À cette époque de grande ferveur catholique, c’est une obligation d’assister aux offices religieux malgré de grandes distances à parcourir. Ainsi, par dimanche de beau temps estival, les prédécesseurs des familles sur les terres plus au sud de la nouvelle municipalité d’Abercrombie, partie est, les Binet, Richer, Lanthier, Gohier, Desjardins se regroupent pour se rendre à la chapelle la plus près. S’ébranle alors, très tôt le matin, un convoi de bogheis et de charrettes, chargés le plus possible des membres endimanchés des familles d’agriculteurs afin d’emprunter la Côte Jones 3, rang encore embryonnaire tortueux qui sinue entre les nombreuses roches et les maisons de quelques fermes sur ce territoire. Lentement, la longue procession parcourt péniblement les cinq milles (huit kilomètres) qui les séparent de cette chapelle déjà trop exiguë pour les paroissiens de plus en plus nombreux de ce coin de territoire.
Municipalité sans embryon villageois
Les femmes et les enfants entassés sur leurs chaises apportées pour l’occasion sont soudain plus attentifs malgré la lourde chaleur estivale qui règne dans cette chapelle déjà trop exiguë. Les hommes quant à eux, debout à l’extérieur sur le petit perron devant des portes grandes ouvertes, cessent leur bavardage et écoutent d’une oreille inquiète les nouvelles du prône dominical. Ces simples gens, bien loin des préoccupations des législations administratives du parlement du Canada-Uni de 1841, qui siège maintenant alternativement entre Toronto et Québec après l’incendie de son parlement à Montréal en 1849 4, ne se préoccupent que d’une seule question : où choisira-t-on d’y installer le chef-lieu de ce territoire créé artificiellement sur trois cantons : à l’ouest, celui d’Abercrombie, à l’est, celui de Kilkenny et au nord, de Wexford ?
Aucun endroit, géographiquement ou traditionnellement situé, ne constitue un lieu naturel et commun de passage ou de commerce. Aucun cours d’eau important, voie naturelle de transport, ne le traverse. Ce territoire tracé artificiellement dans les premières collines du plateau laurentien, compte une trentaine de lacs naturels au creux d’autant de petits bassins hydrographiques boisés et qui sont reliés entre eux parfois, que par de petites baissières où coulent des ruisseaux non navigables.
Une chapelle, lieu d’identité citoyenne
Malgré les demandes des catholiques de plus en plus nombreux, il aura fallu sept ans à Mgr Bourget, évêque de Montréal qui administre ce territoire, avant d’émettre un décret d’approbation en 1862 pour créer une mission. Mais, le consensus est difficile chez les futurs paroissiens. Il existe de vieilles tensions entre les chefs des plus anciennes familles quant au lieu de la construction de la chapelle. 5 Chacun veut qu’elle soit construite dans les îlots de peuplement qui existent depuis des années.
À l’ouest, les prédécesseurs des Lesage, du rang 2 d’Abercrombie et les Chartrand, Desjardins, Saint-Pierre et Thibault des rangs 3 et 4, du lac Écho et des Quatorze-Îles, la désirent près de leur ferme. Les prédécesseurs des Richer, Gohier, St-Onge et Boivin, l’espèrent au sud du territoire, tandis que les prédécesseurs des St-Onge, Boivin, Sylvain, Sigouin et Lachance, au centre-est 6 et les prédécesseurs des Beauchamp, Labelle et Dagenais, au nord, près du lac de l’Achigan. Une chapelle veut dire beaucoup à cette époque. C’est un lieu de convergence des activités communautaires et politiques, mais aussi celles des activités commerciales et administratives. L’histoire nous indique que ce n’est que le 7 octobre 1864 que les futurs Hippolytois verront une forme de dénouement de la situation. Il s’en suivra une épopée qui dure maintenant depuis 150 ans. C’est à suivre…
1 Mission de la paroisse de Lafontaine, construite en 1821 qui desservait les paroissiens des rangs environnants.
2 Ces migrants proviennent principalement des seigneuries du Lac des Deux-Montagnes, des Mille-Îles (Rivière-du Chêne et Blainville) et de son augmentation autour du village de Dumontville (futur Saint-Jérôme) ainsi que celle de Terrebonne. Le taux de mortalité infantile, à Montréal, est de 50 % en 1855.
3 Côte-Jones : Désignation populaire de ce qui est aujourd’hui la rue Bélanger qui devient, au coin de la rue Godard, la Côte-Saint-André, à Lafontaine.
4 Les causes de l’incendie du parlement du Canada-Uni, dans la nuit du 25 au 26 avril 1849 sont liées à la révolte des marchands anglophones contre l’abrogation de la loi du Corn Laws qui obligeaient les commerçants à faire commerce de céréales exclusivement vers les marchés de la Grande-Bretagne et qui maintenait les prix élevés. Avec le libre-échange qui ouvre le marché, les prix chutent.
5 Rapidement, sur les lieux anciens de peuplement, des chapelles seront construites pour desservir la population estivale : 1917 chapelle Notre-Dame-du-lac (lac des Quatorze Îles), 1929 chapelle Sainte-Anne, 1939 chapelle Saint-Albert-le-Grand (lac Connelly Nord et Sud).
6 À l’extrême est, depuis 1820, la petite paroisse anglicane de St-John-the-Baptist-in-the-Wilderness située à la jonction du chemin de la Chapelle et du chemin du Roi, secteur lac Connelly et baie de Kilkenny (lac de l’Achigan) extrême ouest du canton de Kilkenny, accueille déjà près de 300 habitants qui forment un îlot de peuplement encore plus ancien.