Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’être invitée à un événement qui célébrait les 40 ans de notre journal Le Sentier. Tout le gratin journalistique, politique et culturel hyppolitois y était. On m’y avait conviée pour représenter, avec ma collègue Valéry, les gens d’affaires locaux. Certes, l’expérience était fort enrichissante. L’assemblée joyeuse partageait une fierté palpable d’avoir participé, au fil des années, à la création d’un journal de qualité. Les discours firent leur effet, les petites bouchées s’avalaient avec gourmandise… Une belle soirée.
Cependant, en écoutant les récits autour de moi, une chose me frappa : il revenait souvent dans les conversations, le fait du bénévolat, du don de soi, de la générosité, de la passion. Tout autour, des enseignants, des gens d’affaires, des professionnels de tous les métiers, racontaient le plaisir qu’ils avaient eu à écrire pour Le Sentier, en parallèle avec leur « vraie » vie. L’expérience était unanime : formidable, agréable, inoubliable.
Je suis ressortie de cette soirée songeuse, poussant ma réflexion vers tous ceux qui savent brillamment cumuler travail, vie de famille et passion connexe. Une mère de famille qui trime dur avec son mari à la tête d’une entreprise, qui réussit à suivre leurs garçons à la pratique quasi quotidienne de leur sport et qui, en plus, trouve le temps d’écrire des articles pour le journal ? Une étudiante qui cumule boulot, stage, organisation d’activités communautaires et qui parvient à livrer son texte mensuellement ? Et même s’ils n’écrivent pas, comment font-ils, les autres, pour tirer toutes les ficelles de la vie sans rien échapper ?
J’ai une vie si simple. Je la voudrais un peu plus compliquée, dans le sens où beaucoup de projets restent sur les tablettes par manque de temps. Pourquoi ai-je l’impression d’être la seule à rouler sur un cadran de 24 heures ? J’entends amis et clients me parler de toutes leurs réalisations quotidiennes et ça me sidère! Pourquoi ne semblent-ils pas épuisés à 16 heures 25, lorsqu’ils viennent m’acheter un pain pour accompagner l’osso buco qu’ils ont réussi à cuisiner, malgré des réunions interminables au boulot, la gastro du petit dernier et le spectacle de danse de la plus grande ? J’exagère, mais à peine. Ils suivent un rythme de fou!
Lorsque j’étais enfant, mes parents étaient commerçants et travaillaient de très longues heures. En même temps, mon frère et moi avons suivi des cours de mannequinat, de diction, de claquettes, de judo, de natation… Notre vaste cour était entretenue avec la rigueur du Jardin botanique. La maison brillait comme un sou neuf. « Mais vous étiez négligés, pauvres enfants! », me direz-vous ? OH QUE NON! Les jeux de société le samedi soir, les sorties dans la famille au gré des fêtes annuelles, les visites dans les musées et les expositions, le tour de la Gaspésie, du Nouveau-Brunswick… Alléluia! Nous-n’avons-manqué-de-RIEN. Comment diable ont-ils fait ? Je ne me l’explique pas.
Par extension, le mystère s’étend à plus d’un siècle : comment réussissaient-ils, les ancêtres, à élever douze enfants, traire les vaches aux aurores, labourer le champ, cuisiner le pain et les confitures, coudre les vêtements… ??? Toujours dans des journées de 24 heures, ne l’oublions pas!
Aujourd’hui, j’analyse la vie que mon homme et moi offrons à nos enfants. Sommes-nous un modèle parental suffisamment dynamique ? Sommes-nous des parents paresseux parce que nous aimons le confort et le farniente ? En quelle année pourrai-je terminer tous ces projets qui me font trépigner d’impatience ? Des sages, proches de moi, me murmurent à l’occasion que je réalise beaucoup plus de projets que je ne le pense. Que je crée, je communique, je partage à ma manière, par le biais de mon implication auprès de mes trois petits choux ainsi que par celui de ma boutique.
Oui, peut-être. Pourtant je voudrais tant être plus loin dans le processus. J’arrive bientôt à 50 ans. Soupir. J’ai parfois la sensation désagréable de ne pas avoir encore commencé à vivre. Tant de choses à voir, à dire, à découvrir, à goûter, à lire, à aimer ou à détester. Il m’arrive de croire que mon fils de neuf ans accomplit plus de choses que moi dans une journée d’école et que ma quatre ans est gonflée à bloc après une simple journée à la garderie. Oui, parfois, en me comparant, je ne me trouve pas à la hauteur. Jusqu’à ce qu’un estimé client me demande, ébahi: « Mais comment faites-vous donc ? Où trouvez-vous le temps d’écrire ces chroniques, de peindre vos menus, de gérer votre commerce et d’élever trois enfants ?! Est-ce qu’il vous arrive de dormir ? ». Je souris. Quand on a les deux pieds dans l’action, on ne réalise pas tout de suite tout ce que l’on accomplit. Sans s’en rendre compte, en suivant le courant, en faisant de son mieux.
Peut-être que dans 40 ans, tout comme ces artisans du journal Le Sentier, j’aurai moi aussi l’impression du devoir accompli, fière du chemin parcouru. Je serai sans doute une grand-maman, me berçant au coin du feu, et je demanderai à mon homme « dis donc, te souviens-tu quand les enfants étaient jeunes ? Le boulot, l’école, les activités, la boutique… Comment on a fait ? »