Les produits de l’érable sont aujourd’hui affaire de production industrielle. Pourtant, il y a peu de temps, leur fabrication était l’art du sucrier : un savoir-faire transmis de génération en génération et aujourd’hui presque oublié.
Élie Lachance, mon grand-oncle maternel, mort à 101 ans, n’a jamais eu de cabane à sucre dans son érablière ou près de sa maison ancestrale (toujours existante), chemin du lac Bleu. Sa panne rudimentaire et son chaudron de fonte noircie pour « finir »1, sirop d’érable et tire, étaient en plein air et à peine protégés des intempéries printanières. Pour moi, jeune apprenti historien et apprenti tout court dans les découvertes de la vie, une visite chez le parrain de ma mère2, petit-fils de patriote à la parole vivante et gardien des traditions, valait plus que tous les savants cours.
Palette de bois fait main, tel un magicien
Pour Élie Lachance, l’art de cette transformation tenait dans son habile manipulation de sa palette de bois fait main (durant sa vie, il en a offert plusieurs à ses visiteurs). C’est pourquoi, jour et nuit, il n’était jamais très loin du chaudron de fonte suspendu au-dessus d’un foyer de pierres rudimentairement déposées au sol. Tout en jasant, il jetait un œil attentif au bouillonnement du liquide ambré. Il savait lire par expérience, la progression de l’ébullition de l’eau et sa lente transformation en sirop, puis en tire et, finalement, en sucre selon les cristaux formés sur les parois.
Combat continuel
Durant plusieurs semaines, c’était un combat continuel entre un feu de bois qu’il faut alimenter et l’écume menaçante qui se formait au-dessus du liquide. Celle-ci aurait pu faire gonfler en une fraction de seconde tout ce précieux liquide et anéantir ainsi tous les efforts. Il n’était donc jamais loin et, palette en main tel un capitaine manœuvrant son gouvernail, il menait à bien cette transformation.
Lire le filet de la goûte
De gestes lents, il raclait délicatement les parois de son chaudron de fer, y délogeant les cristaux de sucre, évaluant leur quantité et leur formation. Il soulevait délicatement sa palette, observait la couleur du filet de liquide qui s’échappait, sa viscosité et surtout les dernières gouttes qui s’étiraient en filet. Pour encourager son entourage qui avait hâte de s’y délecter, il lançait fièrement : « Ça s’en vient, ça s’en vient! »
Notre-Dame-des-Érables.
Plus qu’un moment de réjouissances familiales, les efforts de faire les sucres sur des terres où n’est possible qu’une agriculture de subsistance étaient un revenu salvateur bienvenu.3 Pour s’assurer de son succès, Dame Nature et le ciel devaient donc, eux aussi, y contribuer. Ainsi, à partir de 1957, il était donc possible d’invoquer Notre-Dame-des-Érables4 et de s’assurer de températures adéquates et de protection contre des accidents lors de coupe de bois ou de feu de cabane à sucre comme cela arrivait dans ces installations précaires.
Statuette de Notre-Dames-des-Érables. Crédit : Bernard Genest, acériculteur
Dragée d’érable, confiserie favorite de Louis XIV
L’histoire de la Nouvelle-France nous apprend que c’est Agathe de Saint-Père de Repentigny, une des rares femmes d’affaires en Pays de Neuve-France, qui fait connaître les produits de l’érable à la cour de France. Inspirée des pratiques des Premières Nations décrites par l’explorateur Marc Lescarbot en Acadie en 1606 et par celles du missionnaire jésuite Le Jeune en 1634, elle utilise le sirop d’érable dans ses confiseries en 1704. Obligée au commerce avec la noblesse de France, elle offre lors de l’un de ses voyages d’affaires, des dragées au roi Louis XIV. Charmé, celui-ci en réclame à nouveau et elle devient ainsi sa fournisseuse officielle.
Fabrication de grand chaudron en fonte, 1676
Ustensile de ferme, héritage à cette époque de génération en génération, les grands chaudrons de fer à suspendre5 sont réalisés seulement en 1676, dans les fonderies européennes. Dispendieux à l’achat6 et demandant des précautions lors de leur utilisation au-dessus des feux de bois vifs, ils sont utilisés sur les fermes pour plusieurs fonctions : lavage des vêtements par ébullition, fabrication du savon de pays à l’automne et en Nouvelle-France, transformation printanière de la sève des érables en produits sucrés.
1 « Finir le sirop » Expression indiquant la progression de la transformation d’un liquide sirupeux.
2 Ma mère, Marie-Ange Sigouin a été adoptée par Emma Lachance, sœur cadette d’Élie. Elle était mariée à Joseph Sigouin, son cousin germain.
3 Il était fréquent que les acheteurs apportent leur récipient lors de l’achat de sirop. Ainsi, à cette époque de mesures impériales, on remplissait pour 5 $, un ancien gallon de vin (presque 5 litres) fait de verre brun et pour 1 $ ou moins, une bouteille d’alcool (±1 litre).
4 En 1957, les producteurs de sucre d’érable du Québec obtinrent du pape Pie XII l’autorisation d’invoquer Notre-Dame-des-Érables pour en recevoir des indulgences. 5 000 exemplaires d’une statuette furent produits par la maison Petrucci et Carli de Montréal. Jean Simard, Les Arts sacrés au Québec, Boucherville, Éditions de Mortagne, 1989, p. 266.
5 Depuis le Moyen-Âge, la cuisson des aliments dans l’antre des foyers de maison se fait dans de petits chaudrons de fonte sur patte qui sont déposés à proximité des tisons.
6 Le minerai de fer qui entre dans la composition de la fonte est réservé en priorité, à la fabrication des canons de guerre. La fabrication d’ustensiles en fonte est donc rare et dispendieuse.