Pays sans chapeau est un roman de Dany Laferrière qui nous aide à mieux comprendre les Haïtiens. Ces derniers ne portent pas de chapeau dans leur cercueil, ce qui sous-entend que l’auteur va nous parler des morts et de leur royaume. Ils sont omniprésents la nuit et les vivants peuvent visiter leur domaine. « Ma grand-mère est partie pour le pays des sans chapeau depuis quatre ans déjà. Des fois, j’ai envie de lui rendre visite. »
Pour Laferrière qui a passé sa jeunesse en Haïti, les odeurs sont omniprésentes.« En descendant de l’avion à Port-au-Prince, l’odeur, c’est ce qui frappe d’abord. Il faut traverser le marché de la basse ville pour se rendre à l’auberge des Sœurs de la Charité. Nous sentons tellement d’odeurs, qu’il est presque impossible de toutes les définir. Les étalages offrent des produits variés : fruits, légumes, poissons, viandes, etc. « Sans oublier qu’il y a cinq fois plus d’humains dans Pétion-Ville qu’avant. Mais ce n’est pas tellement la foule le problème. C’est l’odeur. Près de cent mille personnes concentrées dans un espace restreint sans eau courante, et on n’a pas construit une seule latrine publique depuis vingt ans. »
Un des problèmes d’Haïti, selon l’auteur, est le fait que l’argent part pour l’étranger. « Dans ses lettres, ma mère me parle souvent de la question du loyer. Elle demeure dans une maison louée et le propriétaire qui vit à New York menace ma mère chaque mois de rentrer pour venir jouir de sa retraite à Port-au-Prince. Trop souvent, les propriétaires des terres agricoles les louent aux petits paysans et les profits partent pour les États-Unis où ils habitent. »
Les sans chapeau vivent dans un autre monde. Un professeur d’université se confie à l’auteur : « Un petit peuple se débat le jour pour survivre. La nuit, ce même pays n’est habité que de dieux, de diables, d’hommes changés en bêtes. Le pays réel : la lutte pour la survie. Et le pays rêvé : tous les fantasmes du peuple le plus mégalomane de la planète. Une armée de zombies contre les Américains qui sortent du pays des morts. Dans un recensement en Haïti, ils comptent même leurs morts »
Je suis en train de corriger la thèse qu’un de mes étudiants a rédigée sur les zombies, les morts qui reviennent. Les morts sont plus heureux que nous. Eux, les Occidentaux, ils ont choisi la science diurne, continue le professeur, qu’ils appellent la science tout court. Nous, on a pris plutôt la science de la nuit qu’ils appellent dédaigneusement la superstition. Je dois avouer qu’ils ont fait d’indéniables progrès dans leur zone, nous n’avons pas chômé non plus. Que vaut un sympathique Saint-Christophe face au terrible dieu vaudou Ogou Badagri, maitre du feu, ou l’innocent Saint François d’Assise face au Baron Samedi, le concierge des morts ? »
L’auteur résume l’attitude des Haïtiens face à leurs problèmes. « Apprenant qu’il y a une bombe dans l’avion, les gens de la première classe haussent les épaules en se disant qu’il n’y a aucun danger pour eux, puisque la bombe se trouve en classe économique. C’est ça Pétion-Ville. Nous avons été élevés comme ça, tu le sais mieux que moi. Nous sommes sept millions d’Haïtiens, et nous voulons tous devenir président de ce pays. »
Il y a plusieurs beaux passages poétiques qui donnent une grande valeur à ce roman. « Elle piétine son ombre en marchant. Déjà midi… Tout ça pour dire que les poètes disent souvent la stricte vérité. » Un très beau roman que je vous invite à lire.